Marcel, mon père, est né le 11 juillet 1902 à « La Chapelle Bâton » dans la Vienne, petite commune dans le sud de ce département. Son père, mon grand-père, Samuel était lui aussi né dans ce village et sa mère, Marie-louise, ma grand-mère était originaire de Sauzé-Vaussais dans les Deux-Sèvres. Samuel était marchand de vin, Marie-Louise, son épouse « propriétaire ». Elle, je l’ai bien connue ce qui ne fut pas le cas pour mon grand-père décédé à l’âge de 47 ans alors que son fils, Marcel, mon père, n’avait que 11ans. C’était le second enfant, l’aînée Suzanne, ma tante, était née en février 1898. C’est donc Marie-louise qui a fini d’élever, seule, mon père ; sa soeur, adolescente, est restée le plus souvent chez ses grands parents à Sauzé-Vaussais.
La famille n’étant pas dans le besoin, Marcel a pu faire des études et est rentré jeune comme pensionnaire au lycée à Poitiers. Il décroche son BAC à 17 ans. Ensuite, pour lui, c’est la montée vers la capitale où il prépare H.E.C.
Sur la photo ci-dessus : Marcel à 4 ans.
Au début des années «20» Marcel fait son service militaire, en occupation à Coblence dans la Ruhr en Allemagne. Etant bon linguiste, il parle couramment cette langue ce qui lui sert bien pendant ses deux années du service armée. Les grands parents de mon père, à Sauzé-Vaussais décèdent dans ces années laissant à leurs héritiers une fortune considérable. Mon père a 25 ans quand il touche sa part d’héritage. Il va mener la grande vie. Lui qui avait fait la manche, jouant du violon* aux terrasses de café à Paris pour agrémenter son ordinaire d’étudiant, le voilà qui dispose de suffisamment d’argent pour s’offrir une somptueuse Delage cabriolet sport neuve qui coûtait une fortune à cette époque (On est en plein dans les années folles et mon père n’est, semble-t-il pas, à une folie près…) Il mène donc la grande vie comme on dit… Cela ne dure qu’un temps, bientôt le magot s’épuise et il doit revenir à la réalité, « reprendre le collier » comme il se plaisait à le dire… Donc Travail travail…
Seeing Paris: Part One: On the Boulevards (1920s)
Burton Holmes travelogue. looking out over Paris square. VS square and traffic Avenue de l'Opera Sidewalk Cafe de la Paix Scenes on Boulevard; pedestrians Porte St. Denis Bastille Day ceremonies ...
Le Paris des Années 20...
Au juste que faisait-il comme travail le paternel ? Eh bien ayant fait HEC, après avoir été mandataire aux halles de Paris il en vient à embrasser la carrière de représentant de commerce indépendant. Mon père est débrouillard (« démerdard » aimait-il dire), inventif, charmeur, beau parleur et très avenant et aime surtout profiter d’une liberté d’action dans ce qu’il entreprend. Être son propre chef. La situation de VRP lui convient parfaitement. Et il se donne les moyens de réussir. Au début des années « 30 » le voilà donc sur les routes démarchant auprès de tous types de clientèles : commerçants, artisans, industriels, pour vendre toutes sortes de produits et appareillages. Mon père vend de tout avec un brio et une réussite quasi insolente. C’était tantôt des produits ménagers, tantôt de l’épicerie fine, tantôt des pièces détachées pour voiture ou des produits d’entretien de carrosserie, ou bien des articles de pêches, des serrures de sécurité ( Après la 2ième guerre mondiale, il déposera deux brevets d’invention dont un primé au concours Lépine pour fabriquer en série des serrures de sécurité mises au point par lui sous deux labels : la «Barre Satan» et la «Barre Hercule »…) Ainsi vit mon père du bénéfice de ses ventes et de ses inventions. Comme il est constamment en déplacement, il a tôt fait de privilégier la caravane à l’hôtel ce qui le rend encore plus indépendant. Un jour à St-Brieux, le lendemain, à Nantes, le surlendemain, à Limoges puis à Clermont-Ferrand, Besançon, Avignon et ainsi de suite… Mon père sillonne la France en tous sens, plantant son campement là où il lui plait, visitant ses clients et entre deux étapes, s’octroie des pauses appréciables agrémentées de fameuses parties de pêches. Mon père, grand amoureux de la nature, affectionne ce sport paisible et bucolique. Au gré de ses errances, il se fait beaucoup de connaissances et amis si bien que les soirées bonne chaire avec chansons, bonnes histoires et danses jusqu’au petit matin, agrémentent son existence d’homme libre ne rendant des comptes qu’à lui-même.
S’enrichit-il ? Je ne le pense pas… Si j’en juge par le fait que quand il a connu ma mère après avoir été démobilisé en « 40 », c’est elle qui avait du bien, lui peu … Certes, au cours des années « 30 », le pater vivait bien, ne se privant de rien car il était plutôt dépensier et, aimant trop le bien vivre, il ne devait pas faire de grandes économies. Bien plus tard quand à mon tour jeune adulte, je devais subvenir à mes besoins, mon père aimait m’exprimer sa philosophie en rapport avec la nécessité de gagner sa vie : « Tu sais, Patrice, ce qui compte c’est de faire l’argent de ses besoins. » Lui il y est toujours parvenu par lui-même, ne comptant que sur lui, moi je n’ai connu que des employeurs pour « gagner ma croûte » … mais bon! chacun sa route, chacun son destin… En tous cas, au cours de cette période d’entre deux guerres mon père a su profiter et tirer le meilleur de la vie sur un mode, disons, plutôt bohème … Ce sont d’ innombrables anecdotes souvent croustillantes et jamais dépourvues d’humour, moult fois évoquées par lui lors des repas familiaux qui constituent la base de ce témoignage et qui semblent bien en conformité avec la façon de vivre de mon père que je lui ai toujours connue.
C’est donc pendant l’occupation que mes parents se sont connus… J’étais juste né quand, en été « 44 », mon père était recherché par les allemands qui, ayant eu connaissance de son passé de commerçant et de son aptitude à maîtriser leur langue voulaient en faire un de leur mandataire pour l’approvisionnement en denrées alimentaires de leur troupes . Il fut convoqué à la kommandantur du 17ième arrondissement où proposition de collaborer lui fut faîte… Mon père n’avait aucunement l’intention de servir la cause de l’occupant. L’officier qui devait ignorer que mon père comprenait l’allemand avait fait entendre à un de ses subalternes que si mon père ne voulait pas collaborer il était bon pour les mines de sel en Silésie. (Ceci dit en allemand) Mon père lui, avait bien compris le propos. Profitant d’un moment où il était resté seul face au gradé, il attrapa vivement un coupe-papier sur le devant du bureau et fondant sur l’officier lui mis la pointe sous la gorge lui disant en bon allemand « si tu cries j’enfonce … » Il lui a soutiré son revolver, l’a assommé et est sorti promptement de la pièce. Conservant son sang froid mon père a réussi à quitter la kommandantur sans éveiller de soupçons puis, une fois dans la rue, s’est précipité au plus loin de l’endroit. Par téléphone, il prévient ma mère de ce coup foireux lui recommande de quitter la capitale au plus vite, avec moi, bébé de 4 mois et d’aller chez des amis en Touraine où il tentera de la rejoindre. Parmi leurs amis, ma mère connaissait bien un ingénieur inspecteur de l’aéronautique, haut gradé qui avait ses entrées dans certains états-majors allemands. Celui-ci a pu fournir des laissez-passer officiels à mes parents. Ainsi, dès Août 1944 et jusqu’à la fin de la guerre mes parents et moi avons séjourné à Pouzay/Vienne dans l’Indre & Loire.
Après le guerre, mes parents réintègrent l’appartement de ma mère, Rue Laugier dans le 17ième arrondissement. Il s y habiteront jusqu’en fin d’année 1947 où ils trouvent à acheter un pavillon en banlieue, à Vanves et que nous occuperons jusqu’en 1951. C’est à cette époque que mon père s’est lancé dans son entreprise de portes à fermeture sécurisée avec ses deux brevets, « la Barre Satan » et « la Barre Hercule ». Pour promouvoir son affaire, il avait pris un associé parmi leurs amis de l’époque . Tout a bien marché jusqu’en Octobre 1950 où je me souviens que mon père a été arrêté pour vol, accusé par la femme de son associé d’avoir volé 200 000 F en espèces. Après l’enquête qui dura trois semaines mon père fut libéré. L’argent avait été retrouvé sous la banquette arrière de la voiture de l’associé en question… Une sombre histoire de jalousie et de dénonciation à l’aveuglette de la part d’amis, voilà qui décida mes parents à aller chercher fortune plus loin.
J’avais involontairement enfoncé le clou. Entre 1953 et 1954, en attendant que le garage soit vendu, mon père confia à Georges, son ouvrier, la marche de l’entreprise pour, à nouveau s’orienter sur un travail de démarchage. Il avait repris contact avec un de ses vieux amis d’avant guerre un certain « F ». à Châtellerault (86) qui faisait la vente d’économiseurs en carburant ainsi que la revente de voiture américaine (Camp américain d’Ingrandes) A cette époque mon père circulait en « Plymouth DeLuxe Sedan modèle 1947 »… A la rentrée scolaire d’octobre 1953, on me mit en pension à l’institution « St Thomas d’Aquin » de Lesparre. C’est une époque où mes parents s’absentaient souvent mon père étant constamment sur les routes. Au début de l’année 1954, ils louèrent un « deux pièces » à Châteauneuf, à côté de Châtellerault. Au printemps suivant, le garage fut vendu. Fin Juin 1954, je rejoignais mes parents, chez ma grand-mère paternelle à Charroux. Quelques jours plus tard nous nous installions à St Léger-la-Pallu près de Jaunay-Clan (86). Entre temps, mon père avait, une fois de plus, changé de « job » … Je ne dis pas métier car il s’agissait toujours de commerce. L’association avec « F » avait tourné court et mon père vendeur né, s’était lancé dans la vente de produits vétérinaires, prospectant en campagne auprès d’éleveurs. Dans ces années là, les campagnes comportaient encore de nombreuses petites exploitations où associé à la polyculture, l’élevage de petits cheptels était courant. Sillonnant la contrée à bord de sa vielle Mathis de 1933 (Adieu Plymouth !), mon père eu tôt fait de se constituer et de fidéliser une clientèle paysanne qu’il visitait régulièrement. Du garage de Lesparre mon père avait gardé une Panhard Dynamique de 1938 et un fourgon 1000Kg Renault qui nous a servi à déménager en trois allers et retours de Lesparre à St Léger où La maison que nous occupions était louée. Nous allions passer là une année et je garde un souvenir merveilleux de cette période très campagnarde, de la petite école primaire à Marigny-Brizay, distante de 3 kilomètres accomplis matin et soir à bicyclette. Odeur de la classe, de l’encre, admiration pour mon Maître d’école, le père M. les devoirs à la maison, ma mère supervisant mes travaux et me faisant réciter mes leçons. Les jeudis jeux à Davy Crockett dans le petit bois d’acacias voisin, mes plantations de pommes de terre et de pois dans le terrain bordé de vignes, les partie de cache-cache avec d’autres gamins dans l’alignement des gerbes des champs juste moissonnés, constituent l’ineffable bonheur de ce passage de la première à la deuxième décennie… Mon père partait tôt et rentrait tard, c’est souvent à l’heure de la traite des vaches qu’il trouvait ses clients. Sa clientèle s’étendant de plus en plus à l’Ouest, vers les Deux-Sèvres, il devint urgent de changer de résidence pour mieux centrer ses tournées. C’est ainsi qu’en Juin 1955, nous arrivions à Mirebeau
A notre arrivée à Mirebeau en Juillet 1955 , nous habitions la maison dite de "Jean René" du haut quartier de la Madeleine puis, en automne de cette même année, la maison Perrot, rue Hoche, en centre bourg, et, en 1967, la maison boulevard Voltaire.
Fait rare, mon père n’a jamais cotisé à une caisse quelconque que ce soit d’assurance maladie ou de retraite … Il a toujours voulu être indépendant. C’est avec ses économies faites au cours de ces 25 dernières années d’exercice et la vente de son affaire que mon père a pu assurer sa retraite .
Pour son enfant, le père c’est l’image bien vivante et exemplaire de l’adulte qu’il deviendra. Ce père, il rayonne par son affection et les espoirs qu’il fonde sur l’avenir de sa progéniture. Au-delà des éventuels « conflits de générations », et des déconvenues liées aux destins différents, pour un père, sa plus grande satisfaction c’est bien de voir ses enfants, devenir parents à leur tour.
* A propos de "violon" quand mon père "faisait la manche", il avait rencontré un certain Léo dit "Léo l'harmonium" qui sera connu plus tard comme célèbre interprète et compositeur sous le nom de Léo Ferré.
*A propos de "Maillé" - village martyr,voir le site : http://www.maisondusouvenir.fr/lhistoire-de-maille/
Ascendants de Marcel Lucquiaud.