Comment définir le «Beau» ? Et, est-ce que cela peut se définir ? Le «Beau» n’est-il pas déjà «Beau» en soi ?...
D’ordinaire ce terme est un qualificatif, alors pourquoi, ici, en faire un substantif ?
La raison à cela tient sans doute au fait qu’ à la charge émotionnelle que suscite le qualificatif « beau » attribué à choses ou à êtres, le substantif lui donne une existence propre et en fait une réalité. Le Beau existe comme son contraire le laid…
Reste maintenant à savoir ce qui détermine pour chacun de nous mais aussi universellement ce qui s’avère comme beau face à ce qui se révèle comme laid. Est-ce si évident ?
Est-ce que le Beau est uniquement lié à la notion d’esthétique ne peut-il aussi s’accorder à la notion d’éthique ?...
Comment s’exprime et se manifeste le Beau ?
Quel est la part de subjectivité et d’objectivité quand on vient à dire que tel être, telle chose, telle manifestation sont belles tandis qu’à l’inverse d’autres sont déclarées comme laides ?
Ceci mettrait-il en cause l’universalité du Beau ?
Le fait est que ce qui se révèle comme Beau à nos yeux et de là jusqu’au tréfonds de notre être, se manifeste comme sentiment et en l’occurrence comme ravissement.
A l’inverse ce qui apparaît comme laid à nos sens et jusqu’en notre fors intérieur se manifeste aussi comme sentiment mais cette fois comme sentiment imprégné d’horreur.
D’une façon très simpliste, on pourrait décrire ainsi la situation comme quoi le « Beau » nous attire, tandis que le « laid » nous fait fuir …
Décrivant cela nous n’avons toujours pas mis à jour ce que le Beau comprend, contient en tant qu’entité représentative d’une réalité universelle et, il en est de même pour son contraire le Laid. Soumises à notre subjectivité ces valeurs intrinsèques du Beau et du Laid restent très aléatoires quant à leurs réalités propres …
La question essentielle est : Le Beau et son contraire le Laid existent-ils hors du champ de nos consciences et dans cette situation sont-ils alors forcément l’un et l’autre en polarité et placés en antinomie ?
En poussant plus loin ce raisonnement ce qui nous apparait et que nous déclarons comme « Beau », hors cet état de conscience dans une apparence suprasensible, dans la dimension spirituelle ne serai-il pas « Laid » ? Inversement ce qui nous apparait comme « laid », hors notre conscience, dans une réalité autre que celle du monde sensible n’apparaitrait-il pas beau dans une dimension exclusivement spirituelle ? Ceci débouche sur cet autre constat que dans un au-delà, Beau et Laid ont une autre connotation que celle se rapportant aux définitions que nous en avons ci bas. Le rapport entre le Beau et le Laid dans une réalité spirituelle sont bien plus étroits et fusionnels que dans notre monde physique où nos consciences les séparent systématiquement.
Disant cela, j’en réfère à la fibre et hyper sensibilité artistique des peintres, musiciens, sculpteurs, poètes, écrivains, architectes, metteurs en scènes et autres créateurs d’œuvres artistiques. Leur aptitude de visionnaires focalisée dans l’élément suprasensible de la nature même des choses et des êtres, leur permet d’accéder, suivant leur imagination (au sens d’images), à des perceptions suprasensibles qui, les faisant pénétrer la nature même de ces choses et être (comme perçue du dedans), leur en restituent des images où « Beau » et « Laid » sont, non seulement confondus, mais aussi en constante mouvance l’un par rapport à l’autre.
Ici, le « sublime » côtoie le « dantesque » et s’interpénètrent …
Décrit ainsi, on vient à penser que ceci résulte d’un état d’hallucination mais il faut bien considérer qu’en fait, ce sont nos codes esthétiques en phase avec notre intellect qui nous font qualifier d’hallucinatoires ces visions vécues par l’artiste qui voyage, voire, investigue dans une autre dimension que celle limitée à notre monde des apparences et que nous qualifierons, ici, de monde physique sensible.
Les artistes se sont autant essayés à présenter le laid qu’à révéler le Beau. Et même dépeignant le laid, ils sont parvenus à le magnifier en en dégageant ce qui, puisé de son essence, se révèle alors comme beau dans le contexte de l’Art…
"Le Radeau de la Méduse" - Théodore Géricault -1819 -
Mais n’est-ce pas parce que l’erreur, la tendance à la faute, ces formes communes du mal nous habitent que nous les exorcisons de la sorte à travers l’Art.
Cette manière de les représenter n’a pas pour but que de nous montrer le laid et de nous imprégner de sa substance mais, avant cela, d’en saisir la raison d’être et peut-être aussi, la mission…
Le laid se manifeste à trois niveaux que nous décrirons ainsi
La difformité
Elle se présente comme une faille ou bien comme exagération, opérant une rupture dans la continuité, entamant la juste mesure inscrite dans les proportions d’ensemble…
Elle s’apparente au reflet que transmet le miroir brisé.
Touchant le corps et la matière, Elle interroge notre entendement, nous repousse mais aussi, nous attire insidieusement…
La désharmonie
Elle rompt les équilibres et augmente les tensions entre dehors et dedans, entre le perçu et le ressenti et aussi entre les polarités ; elle fausse le jeu des rapports antagonistes, brise le mouvement avant son apogée.
Elle est comme le fléau d’une balance dont on a évincé le point central articulaire…
Touchant notre vie du sentiment, elle crée le malaise en notre âme, nous fait perdre pied jusque dans nos appréciations et jugements.
La monstruosité
Elle vient aliéner nos représentations familières, notre environnement : paysages, visages, rivages ; elle spolie la Création.
Elle est la manifestation de l’Ego qui ne tolère la présence d’autres Egos et Entités, entraine une hypertrophie des Eléments se déchainant comme :
- Le Feu roulant au-delà de toutes limites sans l’Air et la matière combustible…
- L’Eau se concentrant sans rivage ni mouvement…
- L’Air s’opacifiant sans souffle ni lumière…
- La Terre voulant remplir l’espace jusqu’à l’infini, avide de matière aspirant toutes Vies et formes de vie…
La monstruosité est porteuse de destruction, elle pénètre notre volonté annihile ou subjugue au-delà de l’effroi et induit notre action jusqu’à commettre l’horreur et s’y complaire.
Constatons alors que le Laid contient en germe les ingrédients propres à le métamorphoser, manifestes dans son paroxysme…
- Trop de difformité entraîne le chaos...
- Trop de disharmonie, éparpille et dissémine toutes substances et entités...
- Trop de monstruosité élimine l’Être et le Non-être...
En définitive à ce point extrême le laid (ou le mal) s’éradique lui-même. Il se nie et se renie.
Il n’a donc d’existence que par ce qui s’oppose à lui et qui se manifeste comme étant le Beau, à la fois son contraire et son alter-ego…
« La Beauté, en soi existe, elle n’a pas besoin de l’homme pour être, par contre elle peut le transcender … et lui, à son tour, transcender le laid, artistiquement, le rendre Beau… »
A chaque fois que nous projetons d’évincer ce qui nous gène, perçu comme mal ou nuisible, nous altérons l’équilibre présidant toute Création car ce qu’il revient à l’homme, lui-même produit de cette Création, c’est de la transformer jusque dans ses imperfections les plus repoussantes.
« Dieu n'est pas venu pour arranger les choses, il est venu pour que tout soit plus difficile encore. » (L’Alouette - Jean Anouilh)
C’est à l’Homme de le faire, en toute conscience, poursuivre l’œuvre et embellir son environnement…
C’est la Rédemption qui, ici, est transmise à l’Homme...
Jardinier d'un Nouvel Éden !...