La quête de Vérités... entre le monde extérieur et le monde intérieur. Chez Van Gogh ce sera source de conflits autant que de créations. Ce que l'on perçoit au dehors a sa contrepartie idéelle au dedans... La souffrance autant que l'insatisfaction ne sont jamais éloignées de lui... ne pas considérer ceci comme déchaînements de passions mais comme état à atteindre pour transmettre à ses œuvres, les superposant la réalité des représentations intérieures et les apparences du perçu extérieur nimbé de sa fougue créatrice...
Mystique, travailleur acharné Van Gogh, durant sa courte existence ne tient pas en place, c'est un quêteur et sa quête le fait voyager, faire des rencontres multiples, des découvertes, des expériences qui l'enthousiasment subitement mais se fondent aussi vite dans les instants suivants marqués de nouvelles influences.
On ne sait dans quelle école classer les œuvres de Van Gogh dont on soupçonne une attirance pour les impressionnistes, bien que se défendant lui-même d'appartenir aux Divisionnistes tels que Monnet et Renoir qui peignent par petites taches de couleurs que réajuste la vision globale, autant qu'aux Synthétiques tels que Bernard et Gauguin qui procèdent en réchampissages donnant à leurs tableaux une signification symbolique. Des premiers, il rejette les règles bien trop rigoureuses, des seconds, leurs consonances bien trop intellectuelles. Toutefois il a adopté ce qui lui semble utile : le coup de pinceau brisé chez les Divisionnistes et la couleur arbitraire chez les Synthétiques.
Il faut savoir qu'à sa majorité Van Gogh envisageait de devenir Prédicateur à l'instar de son père Pasteur, des aspirations encore très éloignées de la carrière d'artiste peintre qu'il n'envisage nullement à ses vingt ans... Il sera d'abord marchand de tableaux en cela incité par son père, ce qui le fera voyager de La Haye à Paris en passant par Londres. Bouillonnant, instable, écorché vif, c'est en France que se révélera sa vocation au contact des maîtres aux œuvres foisonnantes sous les poussées des impressionnistes, dans ce dernier quart du XIXe siècle.
En 1876, menant une vie de vagabond obsédé par ses aspirations contradictoires, il ignore encore ce qu'il cherche en vain. Professeur de langue, aide-prédicateur, employé de bibliothèque, étudiant en théologie, il vaque ainsi de vile en ville dans cette partie Nord-Ouest de l'Europe où, en 1879, il obtient la charge de prédicateur dans le bassin minier du Borinage. "Là, dit-il j'assiste aux cours gratuits offerts pas la grande université de la misère". Un monde dont il partage de façon exagérée les souffrances, jusqu'à s'user physiquement, un monde qu'il illustre graphiquement et qu'il peint dans sa mouvance avec éclat.
*Les mangeurs de pommes de terre* (1885). Ce tableau auquel Van Gogh a travaillé plusieurs mois à Nuenen met fin à la péiode formatrice du peintre, dans ses recherches de clair-obscure imprégné de matière. Il y a dans cette esquisse des effets caricaturaux sans doute voulus pour s'accorder à l'âpreté de vie des gens de la terre auxquels il vouait une profonde admiration.
Pour Van Gogh la réalité n'est pas un prétexte à exprimer un état d'âme subjectif, mais une entité que l'on empreint et déforme à volonté pour exalter le feu de la passion. Ceci expliquant qu'il ne peut composer ses sujets de tableaux qu'en rapport avec les choses, d'après nature.
Le petit pont levis de Langlois (1888) Sans doute la dernière version de plusieurs études sur ce sujet traité en teintes lumineuses et taches plates, non dépourvu d'émotion.
Hors de son rendu réaliste, en dépit de la nervosité des touches de peinture, il émane une grande sérénité dans ce tableau. Le mouvement est omniprésent dans les éléments mais aussi pour les sujets en fond avec cette calèche qui s'éloigne à gauche et cette passante sous son ombrelle au milieu du pont dont le mécanisme l'articulant est reproduit en détails.
Portrait du Père Tanguy (1887-88) ami et admirateur de Van Gogh, ce modeste marchand de matériel artistique servit plusieurs fois de sujet d'étude.
Cette version, certainement la plus aboutie en intensité des tons, soulignements des formes et volumes, et vivacité des touches, préfigure la période d'Arles. Le personnage posait sans doute dans l'atelier du peintre puisque l'on retrouve sur les murs tableaux et estampes japonaises que le maître appréciait particulièrement jusqu'à s'en inspirer dans sa façon de peindre. Puissance et chaleur rayonnent jusqu'à nous en camaïeux d'ocres qui font ressortir les nuances de bleus et de verts au centre et à la base du tableau. Cette présence empreinte à la fois, de sérénité et de tensions, s'impose à notre contemplation avec force.
Cette œuvre est l'expression même de l'ambivalence psychique du peintre entre moment de repos (ce qui correspond au sujet) et période très agitée. Le mobilier projeté là à coups vifs de pinceaux entre touches nuancées de jaunes, d'oranges de rouges et de bruns clairs, a bien trouvé sa place dans cette pièce aux cloisons doucement bleutées. A l'aspect humble de cette chambre, tableaux, crochets à serviettes et à vêtements, emplissent de vie cet endroit. Il s'en dégage un "réalisme onirique" où vivre et rêver se confondent en l'absence du temps de sommeil...
La réalité est ici transcendée par le fort contraste entre lumière céleste et lumière artificielle (pas encore électrique) qui submerge en surface et en intensité la terrasse et son auvent. Cette illumination s'étend sur les pavées de la rue à droite. Le jaune criard nous attire au point qu'on prendrait bien place à une de ces tables-guéridons pour se faire servir un rafraîchissement. Cette éclaboussure de lumière vive se juxtapose aux façades très sombres des immeubles que transpercent, ça et là, quelques rais de lumières aux fenêtres. Une heureuse et paisible animation de nuit en pays provençal vibre dans cet éclairage dévoreur d'espace...
Cyprès (Juin 1889) entre matières et ethers, entre ciel et terre, entre jaillissements et crispations, un sentiment puissant lie le peintre à la Nature...
Tensions, bouillonnements, libération sauvage... sont à l'origine du rythme convulsif des touches. Le monde souffre et Van Gogh entre en compassion... Les langues ardentes des cyprès lèchent les circonvolutions d'un ciel frémissant. Le végétal se tord pour échapper à la minéralisation, le vert aspire à s'illuminer en volutes flamboyantes sur un ciel qui rosit au-dessus ds monts sombres... Y aurait -il une Rédemption ?...
"Au bout du chemin." On peut dire des foules de choses à propos de cette œuvre ultime qui porte le deuil de son créateur. Certains y voient un immense cri de désespoir... Pendant les deux mois que Van Gogh a passé à Auvers sur Oise, l'artiste a été fécond ; s'alternent des œuvres sombres et lumineuses, autant de contrastes que l'on retrouve furieusement puissants dans ce tableau où le bleu outremer du ciel s'oppose à sa couleur complémentaire le orange d'un champ de blé torturé par des tempêtes intérieures que le vol des corbeaux veut chasser pour l'éternité.