Réédition d'un article initialement publié le : 08/05/2019 à 10:20
Deux mains qui se rapprochent, les doigts s’inclinent les uns vers les autres, puis, leurs extrémités viennent à se toucher... se préparant à un instant de prière... une élévation dans le plan... l'ogive est née et va tout changer...
L'arc en plein cintre vient d'être brisé, scindé en deux parties égales... on étire chacune pour moins les sous-tendre, on les associe aux piles verticales pour constituer une nouvelle armature à la voûte. Puis on va croiser ces ogives, l'élan est donné !... Plus haut !... Toujours plus haut, plus fin, plus lumineux !... L'église close et sombre va s'ouvrir et laisser un passage de plus en plus grand à la lumière, elle, venue de la voûte céleste...
La cathédrale gothique, dans cette seconde moitié du XIIe siècle, s'élève comme une sublime prière pour sacrer la Lumière, elle est ce nouveau temple de l'Esprit qui rassemble officiants et fidèles épris des dimensions divines qui ont épousé la Verticalité...
Nef de la cathédrale de Reims : foisonnement d'ogives ... déclinées dans toutesles directions du plan d'élévation...
Il est venu le temps des cathédrales… de ces immenses édifices que bien plus tard (au XVIIIe siècle) on qualifiera de gothiques. L'origine de ce terme remonte toutefois à la Renaissance et revêtait une connotation « barbare » car on pensait à tort, que cet art architectural provenait des Goths qui vécurent en Allemagne au cours du Moyen Âge.
L'ogive se décline dans les 3 dimensions de l'espace associant triangles carrés et cercles, on la retrouver dans les plans au sol et en élévation. On la trouve partout à l'extérieur mais c'est à l'intérieur qu'elle se fait encore plus saisissante.
Quand on franchit le portail d'entrée d'une cathédrale, pénétrant dans la nef centrale, on est d'abord attiré par la perspective, cette immensité de la profondeur de champ, avant d'être soudain aspiré par les hauteurs.
Contrairement à ce que nous pourrions penser, nous ne nous sentons pas écrasés par ces dimensions impressionnantes, ces lignes de fuite de la colossale construction de pierres, nous ne nous sentons pas tout petit sous ces voûtes soutenues par le faisceaux des colonnettes dressées autour des fûts porteurs et qui, à leur sommet, se courbent en nervures vertigineuses ; la voûte ogivale assemble les fontanelles du ciel de l'église... Comme le chérubin se tient devant Dieu on se sent temple dans le temple, l'espace nous appartient, le temps, fragment d'éternité, nous a fui... c'est cela entrer en contemplation !...
Croisées d'ogives dans les travées du choeur de la cathédrale d'Amiens. Le clé de voutes se situe à 43 mètres du sol !... Nefs et colatéraux : des fûts à colonnettes jaillissent les courbes ogivales !...
Qu'est-ce donc cette sublime illumination qui a inspiré les maîtres d’œuvres à ce milieu du XIIe siècle, d'où provient-elle ?
En architecture, tout résulte des champs de forces se manifestant en pressions (compressions et poussées) et tensions (étirements) Les forces telluriques ou d’attractions terrestres se traduisent en pesanteurs avec lesquelles le bâtisseur doit composer.
Ainsi toutes projections dans leurs tracés, d'abord rectilignes en flux tendus, s'achèvent par une courbe, et ce, aussi bien, dans le plan horizontal que vertical. Ainsi naît la ligne parabolique ou parabole.
En soi, la courbure est forme originelle comme tout ce qui est de nature ovoïde, elle est aux antipodes de la ligne droite marquant l'horizontale et la verticale absolus (l'horizon terrestre est courbe...) la courbe, brisant l'élan de la fuite en avant, implique un changement de direction permet un retour sur soi. Avec elle tout ne reste plus plat, l'esthétisme naît avec la courbe, pour celui qu'elle inspire elle exige présence d'esprit ou maîtrise... Extraite de la sphère, elle devient dôme puis arc en plein cintre et arc brisé. Structurellement, nous obtenons donc la demi part d'une ogive ou cet autre élément caractéristique du style gothique en architecture : l'arc-boutant.
A l'intérieur de la cathédrale pour les parties hautes couvrantes, l'ogive impose sa forme à l'ensemble des nefs (vaisseaux inversés)
De la colonne rectiligne, jaillit la courbe qui, rejoindra le sommet d'une autre colonne,... sur quatre ou six piles repose la voûte... Quand la forme devient mouvement, apparaît le geste et ce dernier, pur expression de l'âme, constitue à la fois le fondement de l'éthique et de l'esthétisme ce qui en architecture se traduira par Équilibre et Harmonie.
Dans cette œuvre de résonance, l'architecte a saisi la musique des sphères pour disposer et accoler les unes aux autres chaque pierre taillée. Ordre grandiose qui n'est pas que le fruit d'une vaste imagination mais celui d'une intuition créatrice identique à celle manifesté aux Origines.
Vous voyez bien, on ne peut pas entrer dans de tels édifices sans être à ce point émerveillé, alors entraîné hors du champ physique matérialiste pour pénétrer l'espace spiritualisé par le génie des grands bâtisseurs...
Il est intéressant d'observer que l'écu cœur du blason revêt aussi cette forme ogivale mais cette fois inversé
L'ogive se retrouve aussi dans la mandorle comme aura de pierres mettant en relief un Saint personnage ou une scène sacrée. Sa forme en amande n'est pas sans rappeler celle des yeux telle qu'ils apparaissent sur le visage... l’œil serait alors un organe créé par la lumière (vibrations)... considérez aussi la forme de la bouche d'où sort la parole, la disposition des lèvres modulant les sons, cette forme en amande se retrouve également dans le larynx (coupe transversale) autres résonances. Enfin, hors tous aspects obscènes ou toutes allusions licencieuses, cette forme en amande aux extrémités ogivales, est aussi celle de la vulve, organe sexuel de la femme (autre "amande" honorable ) qui constitue le seuil de ce sanctuaire corporel d'où émane la Vie devenant terrestre* au moment de la Naissance. (*selon l'expression : mettre au monde...)
En anatomie et physiologie, dans la construction organique, on peut aussi parler d'architecture, une architecture n'échappant alors pas à un sublime plan divin. Cette architecture, nous la retrouvons dans les autres règnes : animal, végétal, minéral, inspirant architectes et bâtisseurs à partir de la construction géométrique jusqu'à la création d'une architecture organique très apparente dans la Sagrada Familia de Gaudi à Barcelone (Ogive étirée, fuselée) et le Goetheanum de Rudolf Steiner érigée à Dornach en Suisse (Ogive en larges pans sculptés, en cascades d'aplombs superposés).
Tout ceci confère à l'ogive un sens particulièrement élevé pour ne pas dire sacré dont la destination primordiale entre dans l'édification des sanctuaires de style gothique, constituant, sous voutes, les divines courbures du ciel des cathédrales.