Réédition d'un article initialement publié le 07/02/2016 à 10:54
En raison de la crise sanitaire liée à la pandémie "covid 19", le salon de l'agriculture, Porte de Versailles à Paris a été annulé cette année.
Ce mardi 23 février 2021 sur F.2, à 21H05 était diffusé un documentaire très intéressant faisant la rétrospective du monde paysan depuis le début du siècle dernier : "Nous Paysans" suivi d'un débat animé par Julian Bugier pour cerner après cette grande métamorphose, l'ensemble des perspective d'avenir pour l'agriculture et l'élevage dans ce XXIe siècle.
Le 23/02/2019, remontant l'article qui suit, j'avais écrit :
Le Salon International de l'Agriculture à Paris, comme chaque année, à cette époque, ouvre ses portes aujourd'hui. Il nous présente les activités et les production des travailleurs de la ruralité cultivateurs et éleveurs. Quel est le sort, quelle est la mission du Paysan de notre présent High-tech et d'hyper consommation ?... Quel visage nous offrira aura l'agriculture de demain ?...
Retour sur des images du passé...
Si en 70 ans à peine, le visage de nos campagnes a totalement changé, la paysannerie a, elle aussi, subit une profonde et quasi-irrémédiable transformation …
Paysan : surtout ne jamais envisager ce terme à partir de sa connotation péjorative. L'appellation « Paysan » a ceci de noble lorsqu'elle indique la ou les personnes vivant au pays et qui, par leur labeur, en modifie le paysage.
Que s'est-il donc passé ?
Retour en arrière : Année 1954 à Saint-Léger-la-Pallu, commune de Marigny-Brizay, dans le département de la Vienne, nous vivons à la campagne ; il y a au moins une centaine d'exploitations sur la commune. Nos proches voisins les Baluteau tiennent une ferme. Ils ont 6 vaches, deux chevaux, cochons, poules et lapins. Sur leurs quelques hectares de champs, ils cultivent céréales, choux , raves, fèves et pois, font un peu de tabac, et ont quelques rangs de vigne juste derrière chez nous. Des fermes comme cela, avec petit élevage et polyculture, il y en a plein d'autres dans le village et à l'entour, faisant vivre des familles entières...
J'avais dix ans et avec d'autres gamins, aux beaux jours, nous galopions dans les champs... je me souviens du père Petit, juché sur le siège métallique de sa moissonneuse lieuse tirée par deux robustes percherons. Elle coupait les blés et constituait des gerbes liées que, les ramassant, nous rassemblions pour constituer des meules régulièrement espacées. Un autre groupe, avec les aînés, chargeait ces meules sur une charrette. C'est ainsi qu'en quelques jours, se constituait le haut gerbier blond dans la cour de ferme qui jouxtait le prieuré...
Montage du paillier - Battage - Rasemblement joyeux autour de la dernière gerbe...
Venait le moment des battages… une vraie fête du travail ponctuée de cris, de coups de reins, de poussières, de sueurs et, le soir venu, de rires et de chants... Il faut avoir vu cela : au moins une trentaine de personnes : hommes, femmes, enfants, rassemblés autour de la batteuse s’époumonant ; ces grands gaillards qui, à grandes fourchées, gavaient de gerbes le monstre ahanant, certains en récupéraient les fétus coupés, tandis que d'autres, sous la goulotte, au fur et à mesure qu'ils se remplissaient, prenaient les sacs de jute gonflés de grains qu'ils balançaient alors d'un geste vif, sur leurs épaules, avant de gravir allègrement l'échelle menant au fenil... Tous s'activaient avec entrain et les femmes, aux fourneaux, préparaient le repas du midi et le festin du soir. Le lendemain, on se retrouvait dans la cour de la ferme voisine... c'est ainsi que la batteuse faisait le tour du village au plus chaud de la saison ...
Derrière les boeufs... labourage, semailles...
Après les moissons et les battages venait le temps des vendanges, de la récolte du tabac et du séchage puis les premiers labours d'automne. Oui, à cette tâche je me souviens d'avoir vu un couple de bœufs attelé au brabant, son meneur marchant derrière d'un pas lent, mesuré, appuyant fort sur les bras de la charrue, s'appliquant à faire le sillon droit...
Autres gestes, autre temps... c'était hier... de tracteurs il y en avait encore très peu… alors, le jour où l'on a vu arriver la première moissonneuse batteuse nous, les drôles qui courions derrière en criant de joie, émerveillés par cet énorme jouet, on vénérait déjà cette extraordinaire invention fruit du progrès mécanique qui, en quelques décennies, allait bouleverser les pratiques et les mentalités du monde rural.
Voyez là, avec cette colossale machine, le symbole du changement, toutefois, il importe de savoir ce à quoi il tenait ce changement, ce qu'il y avait effectivement derrière, ce qui fut à son origine.
Je me souviens aussi qu'à cette même époque, dans la classe du père Mit, à Marigny- Brizay, nos petites têtes étaient, elles aussi, soumises à rude épreuve mentale quand il fallait calculer des surfaces de champs et à partir d'autres données, en déduire, en quintaux, le rendement à l'hectare !...
Oui, justement, c'est bien lui, le grand responsable... le rendement !
Générations aux champs et aux prés...une vie rude de labeurs et de prsésence constante mais toujurs à l'air libre
Ce concept répondant au double souci de la production et de la consommation, dans l'immédiat après-guerre, devint le mot d'ordre dans le monde paysan. On ne pouvait concevoir l'agriculture et l'élevage sans augmenter sans cesse le rendement. Il se trouvait qu'il y aurait de plus en plus de bouches à nourrir et surtout de porte-feuilles à remplir... nécessités et profits, on était à l'aube d'une nouvelle société qualifiée, plus tard, de consommation...
Dans les fermes deux, voire trois générations allaient s'affronter… anciens contre jeunes. Les méthodes nouvelles de culture et d'élevage allaient faire se confronter parfois très durement pères et fils et aussi mères et filles...
La pénibilité du travail en agriculture est considérable, les jeunes ne veulent plus s'escrimer à la tâche comme leurs aînés et puis passer de longues journées sur les champs, dans les étables et les écuries, pour obtenir de maigres résultats, voilà qui est fort décourageant alors qu'on promet, qu'en augmentant le cheptel, en rassemblant les lots de terres cultivables en une même et unique parcelle bien plus grande, facile d'accès et plus simple à exploiter, au titre du remembrement*, on obtiendra de bien meilleurs résultats, en faisant moins d'efforts... d'autant que le cheval, ce dévoué serviteur, n'est pas à même de produire, en une longue journée, du lever au coucher, le travail qu'effectue sans vous fatiguer et vigoureusement un tracteur, en seulement deux ou trois heures...
Au cours des années 50/60, la mécanisation en agriculture s'intensifie d'une manière exponentielle, le tracteur remplace le cheval à tous travaux des champs. Le tracteur avec, bien sûr, tout son arsenal d'outils et instruments aratoires.
Cela coûte une fortune... qu'importe si l'on s'endette** !... Les banques prêtent à taux intéressants ; emprunts et hypothèques vont bon train, mais obtenant de meilleurs rendements, gagnant bien plus d'argent, ce ne sera rien que de rembourser sur plusieurs années les crédits contractés… Le cercle vicieux de la consommation et de la production à outrance vient de s’enclencher : la paysannerie vient d'entrer, sans la moindre retenue, dans cette grande tourmente des chiffres à en donner le vertige.
Cela va entraîner la disparition d'un grand nombre d'exploitations, les « gros » absorbant les « petits »... Parce qu'aussi, il y a cette fierté paysanne qui veut que l'on ne soit pas moins que son voisin, si celui-ci a un tracteur de 40 CV et bien, il convient de s'en munir d'un de 50 ; ainsi se propage le mal de cette course à l'endettement.
A ces achats conséquents en équipements et outillages, il faut ajouter les engrais recommandés et devenus aussitôt incontournables pour obtenir de bien meilleurs rendements et allant avec, tous les produits phytosanitaires, pesticides et autres « trucideurs » de parasites pour éliminer les indésirables, destructeurs de plants... cela a un prix et augmente la dette…
En élevage, là où il y avait 10 vaches, il en faut maintenant 50 puis ce sera 100… Il faut construire de grandes étables, des stabulations libres, des salles de traite...
Et ce n'est pas tout...
Le fermier moderne se doit de vivre en phase avec les avancées des progrès techniques et sociaux : pour lui et sa famille, il n'est plus question de vivre dans une habitation désuète comme celle de ses parents, au sol en terre battue, chauffée par l'âtre d'une seule cheminée dans une unique pièce commune, sans eau au robinet, sans électricité et, sans téléphone. On construit de nouveaux logements et, à défaut, on agrandi et équipe les initiaux. Voilà qui augmente la note...
l'autre conséquence de cette entrée dans la modernisation à tout va, c'est la disparition du personnel qui travaillait autrefois dans les fermes tels que commis, domestiques et servantes, ces « grosses » et « petites » mains qui œuvraient aux champs et à toutes les tâches de la ferme... Adieu les « va-devant », les piqueurs de bœufs, les laboureurs, les garçons d’écurie, les vachers, les bergers, les gardeuses d'oies, les chevrières, les petites bonnes qui préparaient les repas, lavaient le linge, nettoyaient les appentis, trayaient les vaches, donnaient à manger aux poules, binaient le potager !… Tracteurs et machines ont progressivement remplacé toute cette main d’œuvre précieuse...
C'est ainsi que les campagnes se sont infailliblement désertifiées, entraînant les uns à la ruine et envoyant les autres vers les villes pour y gagner leur vie... cette situation amorcée au milieu des années 60 n'a fait que s'amplifier...
A ce début du XXIe siècle, nous sommes à l'ère des grandes terres, s'étendant à perte de vue, des fermes des 500, voire des 1000 vaches, des poulets élevés par dizaine de mille en batterie, des usines à cochons, de l'agriculture et de l'élevage hyper-industriel… et ça ne suffit toujours pas pour en vivre... il faut toujours plus produire, toujours plus d'argent pour rembourser des dettes colossales devenues, pour le plus grand nombre, aujourd'hui, insolvables... Il n'est qu'à voir ce qu'il se passe présentement : ces manifestations de mécontentements de paysans exaspérés et ruinés...
Ruinés ! Pas seulement eux ! Mais aussi les terres qu'ils cultivent, maintenant, épuisées par les rendements excessifs, brûlées par la surcharge d'engrais, empoisonnées par les pesticides...
Où est l’erreur ?...
Faut-il revenir en arrière ? Est-ce possible ? Est-ce la fin programmée de l'agriculture et de l'élevage dans notre pays dont on a toujours estimé que pâturage et labourage en sont les "mamelles" vertueuses et providentielles , entraînant la disparition des derniers exploitants ?
Photo N.R. - Tracteurs sur l'asphalte... est-ce leur terrain de prédilection ? Je ne jette pas la pierre à ces agriculteurs en colère, au monde paysan en détresse. Chacun de nous est responsable de ce qu'il leur arrive car les mesures à prendre, les pratiques à adopter, les attitudes à avoir passent d'abord par la conscience individuelle du consommateur...
La politique agricole mondiale, européenne et nationale devant répondre aux besoins des populations à nourrir mais surtout satisfaire les appétits incessants des lobbies des chimistes et des fabricants de matériels agricoles, des pétroliers fournisseurs d'énergies, faire respecter les quottas de production imposés, accorder des marges substantielles et indéfectibles aux intermédiaires et aux distributeurs toujours plus gourmands, maintenir des prix cassés pour satisfaire les consommateurs, ont produit ce désastre, cette ruine en nos campagnes.
Ce monde de la croissance arrive à épuisement, il est des esprits lucides et honnêtes en attestant, qui produisent, livres et films nous montrant les ravages de cette politique agricole faite d'avidités et d'excès en tous genres, nous expliquant la situation critique dans laquelle se trouve aujourd'hui notre planète et ses habitants. La santé du monde et de tous ses composants vivants est en péril à cause de l'abondance de biens de consommation, des besoins croissants en énergies, du gaspillage monstrueux des uns au détriment d'autres reclus dans la plus grande misère, et de la course à l'enrichissement.
Ces hommes et femmes nous alertent avec pugnacité et véracité en tenant des propos s'appuyant eux aussi sur des données scientifiques rigoureuses, grâce à leurs relevés précis incontestables. Que nous disent-ils ? Il faut stoper impérativement cette politique axée sur la croissance, cette surenchère favorisant la surproduction, d'où résulte une mauvaise répartition des richesses provenant du sol, et donc en finir avec la norme imposant la quantité et en revenir exclusivement à la notion de qualité.
L'agriculture biologique longtemps contestée, ridiculisée, montrée du doigt au début des années « 70 » (époque des produits et méthode Lemaire-Boucher), commence enfin à intéresser de plus en plus d'agriculteurs et éleveurs et, chez les consommateurs, le bio est à la mode …
Ce ne doit surtout pas être une mode... mais une nécessité pour cultiver juste et manger sain. La santé est surtout une question d'équilibres...
Oui, nous sommes rendus à ce stade crucial où ce choix doit se faire impérativement si nous ne voulons pas que meurent aussi nos civilisations, conduisant l’humanité et l'ensemble de son environnement, à leur perte…
Voies nouvelles : je me souviens de cette grande idée que formulait le Dr Joachim Berron neuropsychiatre qui suivait l'évolution de nos institutions médico-sociales. Il évoquait des « îlots de culture » comme forme de sociétés d'avenir dans lesquelles pourraient s’insérer et s'épanouir les êtres humains de demain. Les fondements d'un tel type de société reposent sur trois principes culturels ou de transmissions des connaissances, contenus dans l'enseignement de : l'agriculture, de la pédagogie, et de la médecine ***, nourrissant et structurant ainsi le corps, l'âme et l'esprit de chaque individu y vivant.
Films en référence : « Terra » « Human » de Yann Atrtus Bertarnd et « Demain »* de Mélanie Laurent et Cyril Dion : Le changement ça commence par nous, les usagers, les consommateurs ...
Notes :
* Le remembrement sera cause de désordres et parfois de catastrophes écologiques en faisant disparaître des milliers de kilomètres de haies hébergeant toute une faune utile et surtout étant préjudiciable à la retenue des eaux de pluie dont l'écoulement lave les terres, les submerges et provoque des inondations jusqu'alors méconnues.
** Il n'est pas une corporation qui se soit autant endettée que les agriculteurs et éleveurs pour améliorer leurs rendements et leurs conditions de travail à cause d'investissements lourds et de frais à répétitions...
***A bien y réfléchir, on s'aperçoit que ces 3 piliers d'un ordre social primordial et universel, ne sont pas éloignés des 3 idéaux républicains : liberté – égalité – fraternité.
- L'agriculture s'appliquant à l'espace, a vocation d'accorder librement, à tous, un travail et, à chacun, sa pitance.
- La pédagogie et l'enseignement s'effectuant dans le temps, a vocation d'accorder de façon égale, à chacun, un épanouissement et, à tous, la connaissance.
- La médecine s'adressant aux individus et à l'ensemble de façon intemporelle, a vocation d'accorder fraternellement la santé à chacun et ce, dans l'intérêt de tous.
Remarque : Cette analyse sommaire correspond au regard extérieur que porte une personne n'appartenant pas à ce milieu de la paysannerie, comme c'est mon cas. Toutefois, à partir des souvenirs d'enfance que j'évoque au début de cet article puis, à partir de la vision que j'ai pu avoir de cette population vivant dans les campagnes, lors des nombreuses tournées que je fis avec mon père VRP en produits vétérinaires, prospectant de ferme en ferme dans les années 50/60 puis, lors de celles que je fis indépendamment, dans le but de lui succéder, par deux fois, en 1964-65 puis en 1974-75, j'ai enregistré assez d'observations me servant alors de repères pour faire des comparaisons significatives quant à l'évolution et la transformation du monde paysan accomplies tout au cours de ces décennies.
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