Il est des événements à côté desquels on passe et dont on ignore l’impact sur notre existence … événements qui vous reviennent soudain en pleine face et dont vous vous dites : Mais comment peut-il se faire que j’ai raté ça moi !...
Ce vendredi 24 avril, au soir, comme sans doute beaucoup de téléspectateurs, nous avons regardé l’émission sur la « 2 » consacrée à « Starmania », cet Opéra Rock qui fête ses 30 ans… Suite à chacune de leur prestation, France Gall dialoguait avec certains des acteurs de ce spectacle musical.
Ce fut une véritable bouffée d’oxygène que d’entendre ces airs interprétés magistralement par déjà trois générations de chanteurs dont la prouesse vocale vous tire les larmes des yeux et vous gonfle la poitrine sous la charge émotionnelle …
Je ne vous parlerais pas du spectacle proprement dit car bien des sites vous en présentent magnifiquement le contenu, vous procurant dans le détail la liste de tous les éléments constitutifs et historiques comprenant : réalisateurs, compositeurs, interprètes et carnet de cet œuvre qui a marqué notre XX° en créant un genre musical nouveau : l’Opéra Rock .
Ce billet vous livrera plutôt mon sentiment sur le fait mentionné tout au début de cet article et sur les réflexions que j’en retire.
Pour en revenir au contexte, c’est bien au tournant des années soixante-dix et quatre-vingt qu’est créé ce « Starmania » qui défraya tant la chronique mais qui connut d’emblée, un franc succès.
Personnellement à cette même époque, je me trouve juste au milieu de ma trentaine, dans cette première mi-temps de la vie, parvenu à cet âge où c’est tout ou rien ou c’est soi acquis, voire gagné ou pas du tout, où l’on s’est « rangé des voitures » ou bien déjà relégué sur la voie de garage… Pour nous, ça y est, nous sommes casés en tant que couple marié avec deux enfants, maison, voiture, travail et congé payé, bref, nous faisons parti de ceux que l’on désigne comme « petits bourges » aux habitudes de bon père de famille qui veille bien sur sa progéniture et organise sa petite vie pépère en consommant et en aménageant au gré des mois son petit confort si rassurant …
Et puis, nous avons la chance de vivre dans un cadre magnifique, bien protégé dans un univers aseptisé, entouré de la verdure d’un grand parc boisé. Là, nous avons adopté un mode de vie « soft » sur le rythme bien pondéré d’un quotidien se partageant harmonieusement en temps consacré à la famille et en temps voué au travail. Comble de facilité existentielle, notre travail s’effectuant sur place, nous avons de surcroît l’avantage d’accomplir des taches le plus souvent attrayantes, enrichissantes humainement et culturellement tout en ayant nos enfants près de nous, et qui bénéficient, eux aussi, de cette existence saine et sereine …
Alors « Starmania » … c’est loin de nos consciences… D’abord, nous n’avons pas de télé, les infos, c’est le matin qu’elles sont vite écoutées sur le petit transistor dans la salle de bain, le temps de faire ses ablutions. A d’autres moments de la journée, il y a bien trop à faire, à étudier et à œuvrer que de se gargariser des turpitudes du monde qui lui, va son train, hors des limites du Centre Saint Martin ...
Une compagnie de 8 résidents à faire vivre paisiblement sous le toit de notre pavillon Saint-François, un atelier de fabrication de jouets en bois à animer et promouvoir, des cours de modelage, de dessin et de chants à préparer et une formation en cours d’emploi à assumer, activités auxquelles il faut encore ajouter la conduite de réunion de travail et même des thèmes de congrès à préparer… tout ça vous éloigne des aléas tenant à la vie publique extérieure…
« Starmania » … c’est quoi ça ?... Si même au hasard des conversations ou en bruit de fond, on en a entendu l’énoncé, vraiment ça ne nous évoque rien et ne présente pour nous aucun intérêt…
Et puis, s’approchant de la quarantaine avec les responsabilités allant en augmentant, la vie est bien trop sérieuse pour que l’on s’intéresse à des spectacles bruyants, où des braillards échevelés, nippés tels des énergumènes s’époumonent à force de donner de la voix et de gesticuler sur scène … « Starmania » …pfffff ! On a tellement mieux à faire … D’abord nous, on est plutôt musique classique, chants lyriques, et il nous arrive aussi d’aller à l’opéra …
Cela dura ainsi jusqu’à un de ces jours du début des années quatre-vingt-dix… Nous avions acquis un mobil-home sur la côte Normande, sis à une heure et demi de voiture de notre lieu de travail … A cette époque, notre temps de congé hebdomadaire étant passé de 24 à 36 heures, dès les beau-jours, le temps qui nous était imparti du Vendredi après-midi au Dimanche matin, nous le passions donc au bord de la mer… C’est au cours d’un de ces agréables petits déjeuners, pris dans notre mobil-home, qu’écoutant un « CD » d’une de nos filles nous découvrîmes « Starmania » … Cela nous a tellement enchanté que les premiers temps nous le passions en boucle … Oui, je dois l’avouer, j’ai trouvé cela superbe, d’une grande qualité artistique au niveau musical… quant à l’histoire, loin d’être insipide, j’avais bien ressenti qu’elle était porteuse d’un message en forme d’interrogation tout à fait dans l’air du temps : Le manichéisme ici, est transfiguré donnant un sens à la vie, sublimé par nos rêves en proie à nos propres luttes, celles que bien souvent nous devons livrer à nous-mêmes à travers ce chassé-croisé entre le monde d’en haut et le monde d’en bas …
Les héros, protagonistes de premier plan, n’en sortent pas indemne, par contre à la tombée de rideau ce sont les personnes lambda comme la serveuse automate qui accèdent à un avenir plus lumineux… Le pouvoir ou la liberté … Elle… a choisi la liberté …
Et nous avions raté cela !…
Voilà, tout ceci pour dire que souvent nous passons à côté de ce qui devrait nous interpeller et parce que l’on est trop dans son « trip », accaparé par ses fonctions, et sa petite vie bourgeoise ou bien parce que l’on tente de se hisser sur les gradins que l’on croit être les plus élevés d’un niveau social et culturel, délaissant les prestations les plus populaires, que nous estimons insignifiantes et dénuées d’intérêt …
Eh oui, il faut savoir la jouer modeste parfois et se remettre en cause face à nos préjugés ce qui ne veut pas dire qu’il faut forcément renier ce que nous avons adoré et reconnu comme enrichissant mais rester ouvert aux créations les plus modernes même si les premiers sons de cloche, tintent mal à nos oreilles et assourdissent notre entendement en dérangeant nos idées reçues, nos façons de voir et d’apprécier par trop conventionnelles…
La rigidité des idées ça peut entraîner la mort de l’âme bien plus à redouter que la mort corporelle…
Entre Zero Janvier et Johnny Rockfort, ne serait-ce pas la Serveuse Automate qui regarde dans la bonne direction ? …
Photo du spectacle sur site Starmania