"A chacun sa place..." qu'elle est violente cette réplique à la fin du film !... mais tellement juste aussi...
Au tournant de la cinquantaine, l'écrivaine Marianne Winckler (rôle interprété par Juliette Binoche) s'immerge pendant un an dans le monde du travail intérimaire et précaire, en postulant puis travaillant comme femme de ménage à bord des ferries faisant la liaison entre Ouistreham et Portsmouth...
De la part de l'écrivaine, la démarche est honnête. Écrire sur l'âpreté de l'existence de ces femmes, due à la précarité de l'emploi, aux basses rémunérations, aux exigences du travail pour tenir des cadences infernales afin d'accomplir leur humble besogne, mais aussi faire le sale boulot quand, en changeant le linge des couchages et en nettoyant les sanitaires de chaque cabine, on doit suivre le tempo, puis éponger toutes sortes de salissures parfois innommables... pour Marianne Winclkler, cela impliquait nécessairement de se confronter à la réalité sur les lieux, mêmes de leurs interventions, parmi toutes ces personnes "invisibles", néanmoins efficaces.
Qui se soucie de celles qui, régulièrement, entre deux traversées, entretiennent hygiène et salubrité à bord de ces cabines ?... Elles doivent quitter les lieux avant qu'embarquent les passagers. Pas question qu'ils se croisent ... monde à deux nivaux entre usagers, privilégiés qui profitent, et exécutants à la petite semaine, qui triment... A chacun son rang ...
Ces agents d'entretien, femmes de ménages, sont solidaires ; elles partagent leurs difficultés de vie, les revers quotidiens, les réflexions acides de leurs employeurs et des petits chefs mais aussi leurs temps de loisirs au bowling ou sur la plage. Des femmes simples, nullement sottes, mais fragilisées par la précarité de leurs sorts et chemins respectifs et les aléas de l'existence.
Marianne Winckler s'installe alors près de Caen et, sans révéler son identité, rejoint une équipe de femmes de ménage avec qui elle se lie. Hélène Lambert est l'une d'entre elles. Elle interprète son propre rôle dans ce long métrage où toutes les comédiennes, sauf Juliette Binoche, ne sont pas professionnelles.
Ce film est diffusé sur C+ depuis le 4 Juillet 2023.
Ouistreham est un film français réalisé par Emmanuel Carrère, sorti en 2021. Il est adapté du récit Le Quai de Ouistreham de Florence Aubenas paru en 2010. Il est présenté au festival de Cannes 2021. D’abord prévue en 2021, la sortie nationale est reportée au 12 janvier 2022.
Distribution
Juliette Binoche : Marianne Winckler
Hélène Lambert : Christèle Thomassin
Louise Pociecka : Louise
Steve Papagiannis : Steve
Aude Ruyter : Lucie, la conseillère de Pôle Emploi
Jérémy Lechevallier : Eric
Léa Carne : Marilou
Émily Madeleine : Justine Leroy
Patricia Prieur : Michèle
Évelyne Porée : Nadège Porteur
Didier Pupin : Cédric
Nathalie Lecornu : Nathalie
Florence Hélouin : Martine
Jean-Paul Hirsch : le libraire
Louis-Do de Lencquesaing : Louis-Do, un ami de Marianne
Charline Bourgeois-Tacquet : Charline, l'amie de Louis-Do
Le comité Révélations de l’Académie des César a publié sa liste des acteurs sélectionnés pour 2023. Parmi eux, Hélène Lambert, ex-agent d'entretien aujourd'hui boulangère à Hérouville-Saint-Clair, pour son rôle dans le film "Ouistreham" d'Emmanuel Carrère, inspiré du livre de la journaliste Florence Aubenas, "Le quai de Ouistreham", publié en 2010.
Hélène Lambert, le diamant brut du film Ouistreham.
Agée de 34 ans, l'Hérouvillaise, Hélène Lambert, dans le rôle de Christèle Thomassin, est l'héroïne du film Ouistreham, sorti au cinéma le 12 janvier 2022. Cette jeune femme pétillante et entière, comme dans le film est Maman de quatre enfants.
Elle donne la réplique à Juliette Binoche avec une stupéfiante facilité, liberté de ton, pertinence, et réalisme. Les réparties parfois cinglantes sonnent justes. Il n'y a pas de surjeu, On fait, avec elle, une plongée dans la vraie vie sans fioritures, sans pathos, ni apitoiement déplacé. Une grande complicité s’établit entre ces deux là jusqu'à l'amitié sincère entretenue par l'admiration sans faille et le profond respect des engagements de chacune dans ses choix existentiels et idéologiques.
Tout ceci tiendra jusqu'à l'instant accidentel de la révélation de la véritable identité et vocation de Marianne Winckler (Juliette Binoche).
Tout s'effondre de cette belle connivence entre ces deux femmes... plus qu'un désenchantement, c'est perçu comme une véritable trahison par Christèle. Pour elle, jouer à la femme de ménage pour s’immiscer dans la vie des petites gens confrontés à la précarité, c'est aussi incongru qu'inacceptable. Toutes explications, toutes justifications sont vaines. On ne triche pas avec la condition sociale des uns et des autres en franchissant les barrières qui séparent les nantis des miséreux, les cadres des sans grade... ou alors, il faut jouer le jeu jusqu'au bout en choisissant le bon camp... celui qui n'accorde aucune aisance de vie.
Ce film bouleversant met en exergue les problématiques et les insuffisances de la "Mixité sociale" aujourd'hui.
En fait, existe-t-il une volonté manifeste de franchir cette frontière arbitraire qui sépare certaines classes sociales. Chaque groupe constitué par son rang professionnel, son niveau culturel, son cadre d'existence, ses ressources, ne campe-t-il pas sur ses positions ? Se disant, qu'irai-je faire, qu'aurais-je à glaner, tiendrais-je encore ma place en me mêlant à autre coterie que celle de ma condition ? "On ne mélange pas torchons et serviettes"... Cette façon de raisonner est aussi forte d'un bord et de l'autre à l’opposé. A quoi bon franchir le pas : "à chacun sa place".
Pourtant, à cette période estivale, à ce moment des grandes migrations vacancières, beaucoup de personnes de rang social et de standing très différents, se retrouvent sur des terrains de camping, ces hôtels de plein air de plus en plus fréquenté, où ils voisinent et sympathisent sans prendre en considération la condition ou la place qu'occupent les uns et les autres. Cela demeure possible, qu'à un moment opportun, on brise certaines convenances, ces artifices de l'avoir et du paraître pour, uniquement, être.
Mais les préjugés font aussi de la résistance et la moindre parole induite de trivialité, le moindre geste déplacé peuvent très vite ramener chacun à sa place et faire que l'on se tourne le dos définitivement sans chercher à dialoguer et comprendre ce qui fut à l'origine d'un malaise. Oui, il faut du courage pour demander des explications, autant que pour convenir que l'on ne sait pas toujours trouver les mots adaptés pour s'exprimer convenablement, ou pour justifier ses écarts de conduite, ses manquements à la bienséance.
Veiller à la probité de chacun autant qu'à la sienne exige ce qu'il faut d'humilité, de circonspection et de bienveillance et certainement de compassion, pour ressentir ce que l'autre éprouve lorsqu'il est victime de nos jugements à l'emporte pièce, de nos regards réprobateurs, ou de notre suffisance.
Ce film témoigne, sans jamais en faire trop, de ce qu'est, dans sa spontanéité autant que dans sa vulnérabilité, la dignité humaine.