Tusson, ( souligné en rouge) village d'environ 250 âmes est situé à une quarantaine de kilomètres au Nord Ouest d'Angoulême
En 1547, Marguerite de Navarre séjourne à Tusson … c’est bien possible cela… mais où se trouve Tusson ?Que venait faire là, Marguerite de Navarre ?
Cette Grande Dame (*11/04/1492 à Angoulême – † 21/12/1549 à Odos-en-Bigorre), sœur du roi François 1er, a connu une vie à la fois aventureuse et contemplative de par son engagement sur les voies sinueuses de la politique et les chemins tantôt sombres, tantôt lumineux de la méditation.
De grande élévation spirituelle, cette Dame de Cœur était très ouverte aux idées nouvelles de son temps, idées de réforme autant que de compréhension de la connaissance religieuse, où le spirituel et le temporel ne doivent entrer en conflit mais plutôt s’éclairer mutuellement… combattre l’hermétisme des dogmes en s’instruisant par l’image et par l’Art, reflets des textes écrits bibliques et antiques, est le principe émergeant qui caractérise la Renaissance. La poésie, l’allégorie, la comédie, inspirés par l’événement terrestre sont porteuses d’un « savoir comprendre » qui désacralise et vénère à la fois, ce qui est rapporté par les textes évangéliques.
Marguerite de Navarre, lettrée, grande admiratrice d’œuvres littéraires d’inspiration religieuse et de celles provenant des grands penseurs de l’Antiquité, est aussi auteur de poésies, de nouvelles philosophiques et de pièces de théâtres. Son inspiration, elle la trouve à la fois dans les aléas de la vie courante et dans ses innombrables lectures.
En 1525, après la défaite de Pavie elle est désignée pour négocier à Madrid, auprès de Charles Quint, la libération du roi, son frère. En dépit de ses talents diplomatiques, elle échouera car l’empereur exige qu’on lui remette la Bourgogne dont il se dit légitime héritier. C’est Louise de Savoie, sa mère, temporairement Régente qui signera le désastreux Traité de Madrid, rendant son roi à la France mais aussi la Bourgogne à Charles Quint…
Marguerite de Navarre fut très affectée par cette détention et son échec dans les pourparlers visant à libérer son frère. Pourtant, ce sont ces événements qui servirent de cadre aux thèmes d’inspiration de ses créations littéraires à venir…
Tusson - Logis du couvent des Hommes - Croix dans le verger du prieuré - Fontaine dans le jardin des simples...
C’est suite à la mort de François 1er en 1547 qu’elle se retire plusieurs mois au couvent de Tusson
Ce prieuré, à l’origine fondé au début du XIIe par Robert d’Abrissel comme abbaye pour y recevoir des religieuses, devint filiale de l’abbaye de Fontevraud (Maine & loire) et prospéra jusqu’au XVIIe.
C’est dans ce havre de paix toute intérieure, que Marguerite de Navarre vient passer son deuil, se réfugiant dans la prière mais aussi dans l’étude littéraire.
C’est en 1895 que l’on découvrit, à la bibliothèque Nationale deux volumes de ses compositions pièces et poésie parmi lesquelles figurent deux grands poèmes : Le Navire et Les Prisons.
– « Le Navire » est un recueil où le roi vient lui-même consoler sa sœur, il est suivi de la comédie sur « Le trépas du Roi », où François 1er apparaissant alors sous les traits de Pan, dialogue avec Marguerite apparaissant, elle, sous les traits d’Amarissime (La Très Amère)
– « Les Prison » œuvre d’une extrême finesse, en 3 livres, montre un jeune homme se libérant tour à tour des jougs existentiels que sont les amours passions, les ambitions, les avidités, les quêtes liées aux sciences, pour conquérir la vraie liberté… L’aboutissement de ce chemin initiatique s’accomplit avec la prise de conscience qui permet le ravissement de l’âme en Dieu.
Marguerite de Navarre présente son livre "Le coche et le débat d'Amour" à la Duchesse d’Étampes (Château de Chantilly)
Tout au cours de son existence, Marguerite de Navarre poursuivra la rédaction épisodique de son ouvrage majeur : L’Heptaméron, un recueil de 72 nouvelles racontées en 7 jours. Condamné par l’Eglise pour certains passages grivois de son contenu, ce traité sur l’Amour entretenu par le discours entre les « Devisants » est aussi une réflexion sur la juste et idéale façon d’aimer, son auteur étant certainement influencé par la vision platonicienne de l’Amour. Il est fort probable que ces écrits qu’elle entretint jusqu’à la fin de son existence, aient connu leur parachèvement lors de cette retraite à Tusson en 1547.
Se détachant du roman Courtois du Moyen-âge porté par l’idéal chevaleresque et religieux, Marguerite de Navarre, suit la pensée de son temps, fortement imprégnée par un vent nouveau de liberté intellectuelle. Devenue Reine de Navarre, elle entretient, à Pau, une petite cour de littérateurs modernes et réformateurs dont Clément Marot, jugé suspect aux yeux des autorités bien-pensantes de la très sainte et catholique Église, est certainement le plus beau fleuron …
Cela lui vaut l’inimitié de la Sorbonne qui condamne son « Miroir de l’Âme pécheresse » L’affaire, quelque peu grossie, a aussitôt le soutien du Roi, son frère qui fait réviser cette condamnation… Bien que sympathisante des Réformateurs, Marguerite n’est pas Protestante mais, comme tous les bons esprits de son temps, elle se sent attirée par l’Humanisme qu’il vienne de France, d’Italie ou des pays frontaliers au Nord et à l’Est…
Dans l’Héptaméron, Marguerite de Navarre qui souligne que l’Amour ne saurait être uniquement une attirance charnelle, ira jusqu’à prétendre que l’on ne peut connaître l’Amour de Dieu si l’on n’a pas connu l’Amour terrestre (ceci constituant une hérésie du point de vue de l’Eglise…)
D’une certaine façon, Marguerite de Navarre peut être considérée comme l’annonciatrice du roman psychologique fondé sur cette compréhension tout à fait nouvelle de l’Amour, tel que la cultivera et développera, ultérieurement, Madame de la Fayette.
Des Reines « Marguerite » … pour qu’on ne les confonde pas …
En effet, des « Marguerite » des maisons, d’Alençon, d’Angoulême, de Valois, de Navarre qui se retrouvent dans un dans un même siècle , on peut vite les confondre … Surtout lorsque leur union les fait devenir reine de Navarre … c’est le cas, ici, pour deux de ces « Marguerite »
Sur l’arbre généalogique simplifié, ci-dessus, la « Marguerite » sujet de cet article, (dans l’encadré sur fond bleu), est devenue Reine de Navarre lors de son deuxième mariage avec Henri II d’Albret. Dans sa descendance, son petit fils, Henri III d’Albret, deviendra roi de France en 1594. En première Noce celui-ci, épouse Marguerite de Valois-Angoulême dite « la Reine Margot » (encadré en équerre rouge, en bas, à droite, sur l’arbre) qui, elle, est la petite fille de François 1er ce dernier étant le frère de notre « Marguerite » première citée … En conséquence , bien que ne s’étant jamais connues, Marguerite de Navarre se trouve être la grand’ tante de Marguerite de Valois… et, son petit fils a épousé sa petite nièce en première noce …
Si un jour, venant de la capitale vous vous dirigez vers les beaux rivages de Charente Maritime, arrivant par la N10, au niveau de Ruffec, faites donc un bref détour et venez découvrir Tusson. Au cours d’une halte bienvenue dans ce charmant petit village charentais, ne manquez pas de visiter son jardin monastique médiéval. C’est, comme dit plus haut, un véritable havre de paix, qui comporte : potager, jardins des simples et bouquets et verger romantique …
Dans le léger bruissement des feuillages entendez la Voix de Marguerite de Navarre qui murmure à votre oreille :
« J’appelle parfaits Amants ceux qui cherchent en ce qu’ils aiment quelque perfection , soit beauté, bonté ou bonne grâce »
On ne saurait trouver plus beau message pour ce jour de la Saint Valentin !