Fidèle à ses habitudes Henriette Bompard, légèrement en retrait derrière ses tentures, épie les allées et venues dans la rue Lorette. Elle voit la voiture de Jocelyne se garer le long du trottoir en face et assiste à la descente des deux jeunes femmes. Les apercevant chargées de nombreux sacs plastiques, elle ne peut s'empêcher de sortir sur son pas de porte... Il faut qu'elle sache : qui ? Quoi ? Comment ?... Elle est comme ça, cette brave Madame Bompard, et Jocelyne a bien aperçu son ombre glisser furtivement derrière les carreaux de sa fenêtre.
- Ah bien dites donc, vous avez fait les courses en grand aujourd'hui !...
- Bonsoir madame Bompard, oui, c'était la folie magasin tout l'après-midi...
- Et cette petite demoiselle avec vous, ce n'est pas une de vos nièces ?
- Non, c'est une étudiante en sciences sociales qui fait un stage dans nos services. Elle vient de loin et comme elle n'a rien trouvé à louer, je lui ai proposé de loger chez moi pendant toute la durée de son stage.
- Et d'où qu'elle vient cette jeune stagiaire ? Les deux filles posent leur paquets à terre. Jocelyne sait qu'elles n’échapperont pas à l'interrogatoire de la concierge. Le mieux étant de lui fournir des réponses bien carrées pour éviter toutes les supputations sources de ragots. Ici, c'est le monde à l'envers, se dit Jocelyne, c'est elle, lieutenant de police, qui se fait fliquer...
- De Lorraine… elle s'appelle Jeanne. Elle n'en dit pas plus.
- De Lorraine ! Jeanne !... Ah mais comme La Pucelle alors…
- C'est ça madame Bompard ! Comme La Pucelle... elles reprennent leurs sacs et s'engagent dans le couloir
Jocelyne fait visiter les 3 pièces de son appartement à Jeanne qui la suit discrètement. Dans la chambre elles posent leurs achats. Sur la tringle de la penderie, d'un geste vif, Jocelyne fait glisser, sur la gauche, les cintres occupés...
- Voilà de la place pour mettre toutes tes affaires ici, à droite, et dans ce casier libre, là, tes sous-vêtements. Je te laisse installer pendant que je vais préparer le dîner.
- Merci Jocelyne. Jeanne commence à ranger ses vêtements. À la demande de Jocelyne on a laissé les portemanteaux ce qui simplifie l'opération et lui laisse le temps de découvrir la chambre de sa protectrice. Recouvert d'une couette dont la housse écrue, à chaque extrémité, est ornée de motifs géométriques de type aztèque, le lit occupe tout un angle, au fond, à gauche en entrant. Il est attenant à un cosy où trônent plusieurs piles de romans, trois cadres avec photos, une paire de ballerine de danse classique et quelques petites peluches souvenirs d'une enfance ponctuée de tendresses. Sur la table de nuit, un radio-réveil indique, en chiffres rouge-fluo, 20 :18. A l'opposé, à côté de la fenêtre qui donne sur la rue, un meuble secrétaire en bois de rose est accompagné d'un fauteuil à assise en paille, paré de coussins. Un ordinateur portable est posé sur le secrétaire. Une vieille commode Louis-Philippe à trois grands tiroirs, recouverte d'une plaque de marbre gris cendré, habille le pan de mur face à la porte au revers de laquelle est fixé un grand miroir pour se voir en pied. Au-dessus de la commode, une eau-forte représente un chaton effarouché, s’agrippant à un des rameaux en bourgeons autour desquels virevolte un couple de pies vengeresses.
Jeanne rejoint Jocelyne dans la cuisine-séjour.
- Je peux t'aider ?
- Merci Jeanne, ça va aller, j'ai pratiquement fini… elle ajoute la vinaigrette qu'elle vient de préparer dans un bol à une salade de riz composé d'un appétissant mélange de tomates coupées en dés, d'olives aux poivrons, de grain de maïs et de miettes de thon. Elle brasse le tout puis le met au frigo.
- On prendrait bien un apéro…
- Un apéro ?
- Un apéritif, une boisson avec ou sans alcool, accompagnée de petites friandises salées pour se mettre en appétit...
- J'aimerais autant éviter l'alcool, le Sancerre pris à la terrasse était fameux mais m'a donné mal de tête.
- J'ai du coca bien frais alors...
- Je n'en ai jamais bu, sers m'en un verre, je verrai bien si ça me plaît… Jocelyne prépare un plateau qu'elle dépose sur la table basse devant le canapé où elles s'installent l'une à côté de l'autre.
- A ta santé ma belle ! Elles trinquent en se regardant yeux dans les yeux...
- Hé hé, ce coca, ça surprend mais avec cette rondelle de citron et les glaçons c'est vraiment bon. J'adore. Et toi, qu'est-ce que tu bois ?
- Un Martini blanc.. tu veux goûter ? Jocelyne lui tend son verre. Jeanne y trempe le les lèvres... - Alors ?
- Ce n'est pas mauvais... mais je préfère ce que tu m'as servi…
Elles restent un long moment silencieuses, chacune étant abasourdie par tout ce qu'elles ont vécu si intensément au cours de cette journée. Dehors, le crépuscule dépose ses ombres violettes sur les façades d'immeubles et sur les frondaisons qui les dominent... le ciel s'empourpre à l'Ouest. Murmures et gazouillis se font plus discrets dans les taillis...
Elles dînent, face à face à la petite table de la cuisine en se racontant tous les essais vestimentaires effectués par Jeanne aux Galeries Lafayette…
- Tu m'as parlé de défilé de modes... pourras-tu m'y emmener ?
- J'espère mais il faut s'y prendre à l'avance et c'est surtout à Paris que se déroulent les plus réputés.
- Je serai patiente promet Jeanne... de toute façon c'est surtout de la curiosité de ma part.
- On y découvre de très belles choses mais aussi des extravagances…
- Ah oui ! J'ai du mal à imaginer mais je te crois… de toute façon, tout ce qui a trait à de la création frise souvent le délire où beau et laid, se mélangeant, produisent des œuvres énigmatiques dont l'esthétisme est surprenant pour nos yeux mais surtout bouleversant pour nos âmes...
Elles débarrassent, Jeanne, spontanément, s'est posté à l’évier et fait la vaisselle comme si cela faisait partie de ses habitudes les plus ancrées… ce qui n'est pas sans intriguer Jocelyne qui ne comprend finalement pas grand chose à cette fille admirable par tant d'autres aspects.
L'une après l'autre passent sous la douche... Jeanne qui a refusé pour elle-même l'opération, sèche les longs cheveux de Jocelyne. Elle manipule avec beaucoup de grâce l'appareil pulsant l'air chaud et la brosse à démêler pour donner suffisamment du gonflant à l’opulente coiffure de son amie.
En peignoirs, l'une et l'autre, pour finir la soirée, elles regardent le grand journal télévisé sur FR3. Succession d'images terrifiantes : bombardements à Alep, tremblement de terre en Équateur, combats de rues en France, incendie monstrueux dans l'Ouest canadien, les informations ne comportent que des scènes cataclysmiques et des actes de violences dispensés par des humains à d'autres humains... Jeanne ne peut retenir ses larmes... Jocelyne la découvrant en pleurs, prend son visage entre ses mains, lui caresse doucement les joues et le front… Elle approche un peu plus son visage… soudain, n'y tenant plus, la serrant fortement dans ses bras elle lui applique un baiser torride sur la bouche. Jeanne ne résiste pas, au contraire, elle se blottit un peu plus dans cette chaude étreinte.
« Ce rapprochement charnel n'est pas sans réveiller le désir de Jocelyne qui, à cet instant en ressent toutes les manifestations avec, comme premiers effets, cette irradiation lascive du plaisir remontant à l’intérieur des cuisses, ce raffermissement de ses seins, ce souffle court qu'accompagnent les battements du pouls s'accélérant... « Mon Dieu que m'arrive-t-il ?... J'ai envie d'elle, de la toucher, de la faire jouir et moi avec… mais c'est une fille ! Je suis amoureuse d'elle, je veux faire l'amour avec elle, poussée par un désir comme je n'en n'ai jamais éprouvé, d'une façon aussi prégnante, avec les hommes. Je serai lesbienne tout à coup ? » Moment de panique… « Ah mais ces hommes si désirables qui m'attirent au moment de cette brutale pulsion érotique, me donnent-ils ce que j'attends ?... Et là, maintenant, à mon insu et contre toute raison, j'ai envie de ce magnifique corps de femme, de cette délicieuse Jeanne si douce, si ruisselante de tendresse... »
Jeanne reçoit avec beaucoup plus de sérénité ces violents prémisses qui ont embrasé Jocelyne. Au moment où elle sent sa main droite remonter le long de sa cuisse avec un frémissement enfiévré par l'ardeur exploratrice, Jeanne la saisit avec une extrême douceur puis la regarde droit dans les yeux... « Elle est vraiment magnifique, j'adore ses grands yeux noisettes je l'aime aussi fort qu'elle m'aime mais … »
- Non Jocelyne pas ainsi... pas ainsi... calme-toi ma ravissante bien-aimée… Elle l'embrasse sur la bouche, lui caresse le front, lui glisse encore un doux baiser dans le cou. - Je t'aime Jocelyne, je t'aime immensément mais pas comme çà, animée d'une telle frénésie débordant d'autant de sensualité à laquelle je ne peux ni ne veux répondre... Je peux t'apporter tellement plus qu'un moment d'extase si bref et si fragile…
C'est elle qui, à son tour, la prend et la serre dans ses bras puis la caresse tendrement et la berce comme on le fait à son enfant. Jocelyne s'est apaisée et la regarde affectueusement les yeux remplis de larmes que Jeanne vient boire du bout des lèvres sur ses joues délicatement rosies...
Il est un peu plus de minuit, Jocelyne a tiré l'élément bas de son lit gigogne et Jeanne se glisse à demi nue sous la couette, Jocelyne se couche à côté, sur la partie légèrement surélevée… Elles ne tardent pas à s'endormir.
3 : 00 s'affiche sur le radio-réveil. Jeanne sort de son sommeil. C'est entièrement nue qu'elle se hisse auprès de Jocelyne lui murmurant à l'oreille :
- Épouse-moi !... Jocelyne ouvre les yeux et sourit.
- T'épouser !... Enfin Jeanne, tu veux me marier maintenant ?…
- Pas comme tu te le représentes de manière triviale ou même solennelle, mais comme je veux te le faire réaliser en suivant pas à pas ce que je vais t'indiquer, si tu me fais toujours confiance...
- Je te fais confiance Jeanne, ne te l'ai-je pas suffisamment prouvé ?
- Si !… Alors, la prenant dans ses bras elle lui ôte sa nuisette et fait doucement glisser sa culotte le long de ses jambes. - Maintenant, nues toutes les deux, laisse-moi me lover contre toi... Jeanne se place de dos contre le corps de Jocelyne qui l’enveloppe, les seins appuyés contre la base des omoplates... - Avec ta main droite, prend doucement la mienne à droite, paume contre dos... à mon tour, je prends la tienne de la même manière, à gauche... Elle ramène alors cet ensemble sur son ventre, juste en dessous du nombril puis demande à Jocelyne d'y adjoindre l'ensemble de leurs mains à droite. Les deux mains de Jeanne se trouvent entre celles de Jocelyne dont la gauche est en contact directe avec la peau satinée de Jeanne, juste au dessus du pubis.
Les lèvres de Jocelyne effleurent la base du cou de Jeanne à cet endroit où les cheveux follets constituent d'adorables frisottis... Elle sent merveilleusement bon, un parfum inimaginable, céleste l'envahit... L'une ceignant l'autre, toute la surface de leurs corps est en contact... mais rien ne les agite les faisant onduler, vibrer, ou se cabrer ; aucun frisson ne les parcourt, aucun fantasme ne les assaille, aucune excitation bestiale ne les transporte...
- Maintenant Jocelyne, ferme les yeux et, au-delà de l'espace-temps limitant ce monde, Vois !... Nous regardons dans la même direction... nous fusionnons : je suis Toi... tu es Moi, me transmettant ta Chaleur, tandis que je te transmets ma Lumière...
Une plénitude absolue, une sublime musique des sphères et une aura magnifique enveloppe, berce, et illumine leur union. La Nuit est Jour, le Jour est devenu Lumière absolue.
Elles ne font pas l'amour... ELLES SONT L'AMOUR...
A cet instant, Jeanne et Jocelyne viennent d'ouvrir la Nouvelle VOIE...
- Fin du livre I -