Les années passent... on avance en âge ... petit à petit ... on vieillit ... On ne voit pas venir la régression de certaines facultés, on pense toujours être au top et pourtant, un beau jour on se rend compte que ce qui était bien affuté, il y a encore quelques années, aujourd'hui ne l'est plus et pire encore, se trouve fortement émoussé ...
C'est ainsi pour la vue... non, non, je ne l'ai pas vue venir mais, en une année et demi, la cataracte a opéré bien des ravages au niveau de mon acuité visuelle ...
C'est d'abord la nuit, les lumières des lampadaires qui rayonnent vers vous en diffusant un halo constitué de traits lumineux innombrables, comme des dards super longs qui vous agressent la rétine jusqu'à l'éblouissement. Puis ce sont les contours d'objets éloignés qui deviennent de plus en plus flous. Enfin, en regardant la télé il arrive que vous soyez incapable de lire les sous-titres et que les seconds plans se font de plus en plus flous. En vous retrouvant au volant, vous vous rendez compte alors que votre champ de vision au loin est particulièrement rétréci et surtout nébuleux ... Là, il y a vraiment danger ...
Un bilan ophtalmologique vous rapporte que votre vision est nettement déficitaire au point qu'à peine 5/10ième de l'œil gauche et à peine ½ /10ième de l'œil droit vous classent d'emblée parmi les « céciteux »... Oui, oui, oui, voilà ce que j'apprends sur mes aptitudes visuelles au début de cette année 2009... Un rendez-vous chez l'ophtalmo, ce 20 mars dernier, le jour de mes 65 ans, me vaut d'aller consulter d'urgence le chirurgien ophtalmo spécialiste, à Poitiers...
15 jours plus tard, je rencontre le jeune professeur Pierre E à la Clinique du Fief de Grimoire. Il confirme la cataracte déjà bien mûre ... Opérer devient quasi urgent ... Ce jeune homme (environ la quarantaine) me propose la date du 7 Mai prochain pour effectuer l'opération... la balle est dans mon camp ... ai-je le choix ?... Bien que j'appréhende de me faire trifouiller mon « nenoeil » je lui réponds : bingo, va pour le 7 Mai ! ... Ce jeune ophtalmo qui me semble bien connaître son affaire me précise que je deviens un danger public pour les autres, mes proches et moi même en prenant le volant avec une vue aussi affaiblie ... Il est donc impératif d'intervenir le plus-tôt possible et, à ce stade, j'ai plus à y gagner qu'à y perdre ... Et puis Annie, elle handicapée moteur, a besoin que je vois clair ... deux handicapées sous le même toit, l'un peu mobile et l'autre n'y voyant plus rien ... bonjour la catastrophe !...
Donc rendez-vous est fixé avec l'anesthésiste le 22 avril qui suit. J'y vais à temps comme prévu ... Le Dr L. m'explique : une piqûre à la base de l'œil... une broutille... et après... on opère ... ben voyons !... Rien de plus simple, hein !...
Mais au fait la cataracte c'est quoi-t-est-ce
Rien avoir avec une chute d'eau, comme celle du Niagara par exemple, sinon avec une chute notoire de votre acuité visuelle, ça oui... En fait, il s'agit d'une opacification du cristallin ce petit miroir du fond de l'œil qui réfléchit la lumière y entrant ... Imaginez une glace dont le tain se ternit de plus en plus, l'image qu'elle vous renvoie devient de plus en plus sombre jusqu'à être indescriptible tellement les contours, les contrastes et les nuances en sont estompés...
Alors, au niveau de l'œil, l'opération consiste à remplacer le cristallin dénaturé par un implant flambant neuf lequel vous permettra d'avoir une vision bien plus claire et surtout plus précise de votre environnement... Vous trouvez cela sur Internet (Cataracte) où tout vous est expliqué y compris les détails de l'opération ... Vous pensez bien que je suis allé me documenter sur le web ... On ne peut pas dire que cela m'a rassuré pour autant, car se faire ouvrir l'œil puis détruire le cristallin aux ultra-sons et enfin en aspirer jusqu'à la moindre micro-miette avant de vous injecter un implant de substitution, ça vous promet une séance « trifouilles-moi l'œil » on ne peut plus désagréable... oui mais on est localement anesthésié, on ne sent rien... On ne sent rien ?... mon œil !... je me dis comme ça que le 7 Mai, c'est pas tout de suite et que et que, eh bien, on verra ...
Bon, entre-temps, histoire d'oublier cette échéance du 7, ils y a les Noces d'Or de ma Belle Sœur et de mon Beau Frère à fêter et ça c'est plus sympa à vivre ne pensez-vous pas ?... Alors, j'en ai profité de cette journée du 12 Avril, je vous le dis moi : bombance, danse et chansonnettes à gogo ... carpe diem, les amis !... Carpe diem ... vous dis-je ...
7 Mai 2009 ... 10 H du matin ... Le VSL de la société ambulancière du canton se gare devant chez-nous ... Bon cette fois on y est ... pas de reculade mes bons amis !... La veille j'ai pris ma douche et me suis frotté tous les recoins et la surface totale du corps à la « Betadine », opération renouvelée ce matin même. Avant de partir tout a été organisé de façon à ce qu'Annie ne soit pas seule au cours de cette journée. Mon gendre restera auprès d'elle jusqu'à mon retour prévu le soir même ... (Dans quel état mes enfants ?... Dans quel état ?...)
Bon, j'arrête de faire l'enfant, de toute manière, il faut nécessairement en passer par là ... certes...mais... l'anesthésie... comment vais-je endurer cela ?... Et puis d'abord, je n'ai jamais été hospitalisé moi ... Bon pensons à autre chose, on verra bien ... On verra bien ... tu parles de voir... ou ne plus voir du tout ... bah oui, si ça foire moi qui n'y voit rien de l'œil droit, je rentre illico dans la communauté des canes blanches ... Réjouissant.
Tiens Farfadet, tu ferais mieux de tenir la conversation à la conductrice du VSL qui est bien avenante et fort souriante.
Du coup je lui raconte mes avatars le jour de mon rendez-vous avec l'anesthésiste le 22 avril dernier ... Figurez-vous que je me suis fait choper par le radar, circulant à 57 Km/h au leu de 50 Km/h réglementaire en ville, avenue de Nantes juste en arrivant à Poitiers ... J'ai rien vu de cela, sinon que j'ai reçu l'amende il y a deux jours... 90 € et un point de moins sur le permis ... vive la cataracte et ses chutes de déboires à suivre !...
Tiens avec tout ça, nous sommes arrivés à la clinique du Fief de Grimoire ... Ah oui... jusqu'à l'appellation du lieu, c'est vraiment très rassurant je vous jure... Le Fief de Grimoire ... ça ne s'invente pas ...
Ma charmante accompagnatrice me laisse au bureau des admissions, il est convenu qu'on rappellera le soir même quand tout ceci sera terminé ... oui finissons-en le plus vite possible les gars ... pas envie de moisir ici moi !...
Mais voyez-vous, le temps, et bien on ne le bouscule pas, c'est plutôt le contraire, c'est lui, ce sacré bon bout de temps, qui vous chahute et vous met bon gré mal gré à sa disposition.
Rentré à 11 H, je n'irai en salle d'opération qu'en milieu d'après-midi ... Mais jusque là il a fallu patienter car, je ne suis pas le seul à être opéré ce jour là ... effectivement, il y a bien du monde en salle d'attente ...
C'est seulement à midi, après être passé à l'administration tatillonne avec le dossier et tous les justificatifs exigés pour opérer, que l'on me conduit à la chambre 17, où sont déjà alités deux autres patients... L'aide soignante qui m'accompagne m'explique que je dois me désaper entièrement, revêtir la chasuble bleu marine à fermeture postérieur, (le mien, au propre comme au figuré, étant forcément à l'air...) et d'enfiler des chausses blanches aseptisées puis de me coucher et attendre ...
Attendre, encore attendre, toujours attendre ...bah oui, c'est cela être patient ... non ?...
Mes compagnons de chambrée ne sont pas très loquaces, mon voisin du lit du milieu ( je suis côté fenêtre) est un gros pépère qui, assis en tailleur fait des mots fléchés. Sur le lit du fond un homme de couleur beaucoup plus fluet que nous bougonne et marmonne tout seul ... Bonjour l'ambiance... le temps passe ... passe ... personne ne vient ... nous aurait-on oubliés ?... Et puis chacun, drapé dans sa dignité, ne voulant pas afficher sa propre angoisse, fait que personne n'ose poser des questions ou faire une quelconque remarque ...
A force, étant couché, le sommeil nous gagne, mon voisin ronfle comme un sonneur... Ah oui, bien sûr nous sommes tous à jeun depuis la veille au soir ... nos ventres gargouillent également ...
16H, arrive une infirmière, gouttes dans les yeux de mon voisin pour dilater la pupille... Un quart d'heure passe puis c'est le monsieur du fond qui a le droit à sa première série de gouttes aux yeux ... peu après, mon voisin part en lit à roulettes, emmenés par un infirmier moustachu ... Un quart d'heure plus tard c'est à mon tour de subir le compte goutte... j'ai même pas le temps de ressentir les effets que l'infirmier moustachu m'emmène pour une ballade dans les couloirs. Défilé de plafonds, un tour en ascenseur : on monte ou on descend ?... Mais qu'est-ce que je fous dans ce pieu moi ?... "Laisse-toi aller Farfadet, ne pense à rien laisse faire ces bons messieurs ..."
16H 30, arrivée en salle d'anesthésie ... Oh mais, il y a du monde là !... Nous sommes au moins six lits avec tout le toutim de branchements et de tuyaux... rassurant ... Personne ne bronche ... Une infirmière, puis une autre font le tour des lits ... et que je te mets des gouttes tous les quart d'heure, deux à chaque fois (le protocole veut qu'il y en ait quatorze d'instillées avant la piqûre anesthésiante) Elles n'arrêtent pas ces gentilles jeunes femmes. En plus elles vous perfusent puis vous placent sous oxygène... Finalement tout ceci se fait tranquillement le plus naturellement du monde et, chose curieuse, mon inquiétude diminue, je leur fais entièrement confiance, elles savent ce qu'elles font et le font bien, avec douceur et beaucoup d'humanité ... Je me sens bien là... tiens !...
Arrive l'anesthésiste, il m'enduit l'orbite d'un pré-anesthésiant puis me frotte le bras avec, m'expliquant que je vais "partir" un court instant tout en restant avec eux ... ??? Eh bien la piqûre anesthésiante à la base de l'œil, je n'en n'ai rien vu venir ni rien senti ; par contre, côté neurologique, c'est plutôt nébuleux et la vision elle, disons, que ce n'est plus très net ... mais bon, je sais que je suis là dans un lit...
« Allez, je vous emmène me dit une voix »... il me semble reconnaître mon ophtalmo chirurgien en combinaison verte pâle, coiffé de la rituelle charlotte et déjà affublé de son masque qui lui cache le sourire ...
« Aujourd'hui nous sommes une bande de remplaçants ... ne craignez rien surtout on a appris en regardant faire le professeur » plaisante-t-il en me roulant à travers un dédale de couloirs qui me paraissent interminables. Je n'ai pas assez de présence d'esprit pour lui rétorquer : « Alors de ce fait, vous allez m'opérer à l'œil je suppose... » (le Devis pour dépassement d'honoraire atteint 130 €...) J'imagine que malgré tout, je souris avec un air convaincu ...
Nous arrivons au bloc. Tiens il y a du monde ici... Sont au moins cinq, hommes et femmes... mais le nez à regarder le plafond, je ne vois pas dans le détail surtout avec une vue plus que brouillée ...
« Il va vous falloir vous glisser du lit sur la table d'opération à votre gauche ». Je le fais à mon grand étonnement... eh bien non, je ne suis pas tout à fait nase ...
On me repose la tête sur un appui moulant bien adapté. Et hop une sangle en travers du front pour immobiliser la dite tête...
Respirons fort... détente, je me décrispe, mains posées à plat sur des reposoirs latéraux. Au dessus de moi un super éclairage doit illuminer ma face ahurie et toute une instrumentation sur bras articulé me semble fantomatique...
On me recouvre d'une bâche bleue (livraison sous deux jours en colissimo les amis : un farfadet un ! ...)
On y va m'sieur !
Gi go ! ...
S'approche de mon œil une curieuse petite lumière bleue avec des ombres, ça bouge, ça vibre, ça oscille tout près tout près de ma pupille on dirait ... je n'y vois que du bleu et je ne sens rien, pourtant je suis sûr que l'on me trifouille l'œil ... Eh mais, par où, ils sont rentrés, avec leurs micro-outils ?...
C'est rigolo tout ça ... « aspiration !... » ça, c'est la voix off de l'automate chirurgical, une voix de femme... Une espèce de « pointe Bic » fait des oscillations juste au-dessus de moi... s'amusent bien le chirurgien avec ses « tits outils » ...
« Polissage implant » Mon chirurgien derrière moi à l'aplomb de ma tête discute avec un confrère ... « Formidable hein, ces nouveaux implants ... de véritables bijoux ! ... » Par la prunelle de mes yeux, ils vont me diamanter le regard en m'équipant de la sorte si je m'en tiens à ce qu'ils racontent !...
« Injection implant » ... Il va passer par où ce truc pour trouver sa place ? Et puis, ils ont intérêt à le poser au bon endroit ... pourvu qu'il ne me le mette pas à l'envers ... T'imagine un peu voir le monde tête bèche ... déjà que bien des événements nous le mettent sans dessus dessous, notre monde ...
« C'est bientôt fini mon petit monsieur ... »
Pas possible... déjà ! Moi, qui commençais à m'y faire ...
Nettoyage et Pose d'une coque de protection avec pansement sur le globe oculaire de la partie opérée...
« C'est Ok, on vous ramène ... allez encore un petit effort... si vous voulez bien vous glisser dans le lit à votre droite ... » J'exécute la manœuvre sans faillir...
Je n'en reviens pas, je suis opéré, j'ai pratiquement rien senti ... par contre je n'y vois pas grand-chose avec mon œil droit hyper faiblard ... ça me suffit quand même pour exécuter les gestes simples.
Un quart d'heure plus tard, je suis de retour à la chambre 17 où le gros monsieur du lit du milieu, assis et déjà rhabillé, est prêt à partir .. L'infirmière vient me prendre la tension. Rien d'anormal tout est ok ... Si elle le dit !... « D'ici une demi-heure, vous allez pouvoir prendre une petite collation... » Ah oui, ça c'est une bonne idée, commence à avoir faim le fadet ... Oups ! Mais je n'ai pas mes dents ... il ne fallait pas porter de prothèse ... Avec des gencives nues en haut et à 6 dents en bas ça ne va pas faciliter la mastication ...
En situation postopératoire, entre voisins de chambres, on est tout de suite plus loquace... et de bavarder ensemble en nous racontant nos petits bobos sans éviter d'évoquer les banalités de la vie... Le Monsieur de couleur arrive à son tour. Il est moins bougon qu'à son arrivée ... Il rouspétera encore pour qu'on le débarrasse de sa perfusion mais il devra faire comme les copains et attendre la visite du médecin pour avoir son autorisation de sortie ...
Notre chirurgien ophtalmo passe effectivement vers 19H30, examine bien chacun de nous et semble satisfait. Rendez-vous est fixé dans une semaine le 13 Mai. L'infirmière vient peu après nous débarrasser de nos perfusions et nous remet nos dossiers, avec carte d'identité de l'implant et ordonnance de collyres à administrer rigoureusement dans les jours qui suivent...
Le Dr. E. a opéré 12 cataractes cet après-midi !...
Bien sûr, aucun de nous ne peut repartir seul, il faut être accompagné. Un ambulancier bien sympa est venu me récupérer à 20H. Nous arrivons à Mirebeau, trois quart d'heure plus tard.
Annie Amélie et Cédric sont installés en terrasse. Il a fait chaud aujourd'hui...
On m'aide pour m'installer à table ... Je suis heureux et aussi bavard en racontant ma journée à chacun. Annie est rassurée ...
De l'anesthésie, les effets s'estompent petit à petit, de ce fait, je me rends compte que mon œil gauche voit par le petit « jour » sur la droite de ma coque de protection... curieuse impression : j'ai des objets de mon proche environnement, des images doubles, l'une claire, l'autre plus foncée et elles se chevauchent mal... Il ne faudrait pas que ma vue reste ainsi ... Une vision à facettes comme une mouche, ce n'est pas terrible pour un humain ne pensez-vous pas ?...
Finalement la nuit sera sereine ... Je suis bien trop fatigué pour m'inquiéter.
« Demain matin, vous pourrez enlever vos pansements » avait bien recommandé notre chirurgien ophtalmo...
Ce 8 Mai à 9H30, devant la glace du lavabo, je m'aventure à enlever mon pansement et sa coque de protection...
C'est un choc ... Tout est bien plus clair ici... je vois, je vois parfaitement, mes enfants ! Je vois clair et je vois bien net ... c'est sûr, je vois bien mieux qu'avant ...
C'était le but non ?...
Bravo à la microchirurgie ! Coup de chapeau à tous ces spécialistes ! Grand remerciement au Dr E. ! Dans ces instants, c'est fou ce que l'on peut éprouver comme reconnaissance à destination de la science, des techniques et de leurs serviteurs rigoureux œuvrant pour notre mieux être...