L'affiche du film - La famille Cheval (3 générations) devant "Le palais Idéal" / (Cliquer sur chaque vue)
Hier soir, sur Canal +, était diffusé le Film de Nils Tavernier : « L'incroyable histoire du facteur Cheval »...
Grand moment d'émotion... Pendant une heure trois quart, nous sommes transportés au cours des années 1869 à 1924, dans la partie septentrionale du département de la Drôme, emboîtant le pas assuré de Ferdinand Cheval, facteur de son état.
Cet homme, volontiers solitaire, taiseux, opiniâtre, parcourt 30 kilomètres chaque jour pour faire la distribution du courrier sur la commune de Hauterives.
Les paysages d'une nature sauvage au milieu de monts au profil très ciselé ou aux courbes douces, de massifs forestiers verdoyants et d'horizons bleutés, sont d'une grande beauté, les plans sont choisis pour donner de l'ampleur à cet immensité silencieuse.
Les acteurs jouent juste et nous apparaissent comme gens de la ruralité profonde tels qu'ils étaient à cet fin du XIXe siècle où la vie était rude et les rapports entre humains réduits à l'essentiel. La vie était surtout vouée au travail, au champs, pour la plupart d'entre eux.
Saisons après saison, chacun s'affaire aux tâches qui lui incombent.
Ferdinand Cheval (Jacques Gamblin), besogneux, rigoureux, sans doute bourru, accomplit avec régularité sa tournée quotidienne.
La vie ne l'a point épargné, mort de son premier fils, mort de sa femme, on lui enlève son autre fils dont la famille juge qu'il ne pourra être bien élevé par ce facteur parti tous les jours sur les chemins, et qui rentre tard...
Il accepte son sort Ferdinand Joseph Cheval, il ne se rebellera jamais contre, ça se passe au fond de lui, ses blessures il les enfouit dans le silence mais aussi dans la rêverie. Oui c'est un rêveur cet homme qui marche marche, marche vers un destin qu'il ne maîtrise pas mais qu'il assume jusqu'à heurter une pierre sur sa route qui l’envoie rouler au ravin... Il s'en relève, nullement furieux, récupère son courrier éparpillé puis va extraire cette pierre qui l'a fait tomber. Elle a une forme extraordinaire... il la place dans sa sacoche et rentre à la maison avec.
Il s'est remarié avec Philomène (Lætitia Casta) et, en 1879, ont une fille Alice, c'est cette même année qu'il a trébuché contre la pierre qui sera à l'origine de la construction de son palais idéal... Ce sera pour lui, en plus de la réalisation concrète de son rêve, un moyen d'entrer en communication avec sa fille car lui, ne sait pas quoi faire avec les enfants...
Il y a des passages profondément émouvant dans ce film, et même si l'action parfois, semble se dérouler au ralenti, c'est une grande profusion de sentiments non exprimés, tellement, il sont pudiquement contenus, qui se lisent sur les visages. Jacques Gamblin traduit cela à merveille. Toute la beauté du film, plus que l'édification de cette extraordinaire et incomparable palais, tient à ces expressions de visages, à ces plans sur les personnages qui prennent du relief sans avoir à déverser des flots de paroles...
D'autres drames viendront meurtrir cette âme secrète, mais l'Homme avance imperturbablement, poussant sa brouette de pierres et cailloux. 33 ans de chemins et de sentes parcourues à glaner ces précieux matériaux qu'il maçonne chaque soir, chaque nuit aussi, pour ériger sa "Merveille" une œuvre d'architecture inclassable, rassemblant tous les genres, défiant aussi les lois de l'équilibre. L'essentiel y est dans l’harmonisation et dans les proportions d'enchevêtrement de styles associant art naïf contemporain et art Asiatique. La féerie transposée dans la pierre est un vrai livre d'images peuplées d'animaux et de plantes exotiques, d'êtres fantastiques, de cascades enchanteresses et de retombées lithiques, éclosions et ruissellements deviennent gestes sublimes d'architecture au point que l'on se demande si Cheval n'aurait pas inspiré Gaudi...
L'histoire s'achève au début des années 20, au mois d’août lors du mariage de sa petite fille, autre Alice, fête nuptiale qui se déroule face à son Palais Idéal... superpositions de visages sur ce décor illuminé de milliers de feux... dans la sérénité d'une vie d'ouvrage accompli, s'éteint celle de ce facteur infatigable marcheur et créateur.
Après un tel beau film, nous pouvons aller dormir tranquille à notre tour ...
Un ravissement !