Le service militaire, ce n'est pas une mince affaire... quand il s'agit de marcher au pas c'est comme mener un rude combat, faire un avec la troupe au pas cadencé et sans cesse recommencer pour constituer un ensemble impeccable... des matinées entières sont consacrées à cet apprentissage nous faisant faire au moins trente tours de l’immense cour bordée par les 3 grands bâtiments du casernement. Ça, sous un chaud soleil d’Été, provoque d'abondantes suées sous les bérets ou sous les casques suivant la nature de l'exercice ou des activités au programme du jour...
Han Dey ! Han Dey ! Han Dey ! hurle le sergent chef meneur, un dur à cuire de la cinquantaine, vraie tête brûlée qui a fait l'Indochine.
Section halte ! Et tout notre groupe en rang par quatre s'arrête comme un seul et même homme.
Repos ! Garde à Vous ! Repos ! Garde à vous ! Section... marche ! Et c'est reparti Han Dey ! Han Dey ! Han Dey ! On relève la tête, menton pointé vers l'horizon ! Et maintenant on chante : « Un gai luron des Flandres s'en vint en Wallonie »
Lorsque nous stationnons nous passons illico au maniement d'armes.
Arme sur l'épaule... droite ! Alors, en trois temps, le fusil au pied se retrouve sur l'épaule... et il faut que tout claque en rythme, selon une gestuelle parfaitement synchronisée pour que la manœuvre soit parfaite.
Au pied, ah oui au pied qu'est-ce que l'on porte ? non pas de seyants rangers comme ont les « marsouins » du RIMA au camp de la Braconne, mais de vulgaires brodequins à semelle cloutée avec, par-dessus, couvrant les mollets des guêtres à lacer. Il faut savoir que c'est en courant dans les escaliers que nous allons à l'armurerie au 3ème étage de notre bâtiment pour retirer le MAS 36 et que l'on redescend toujours en courant sur les marches cimentées lisses avec nos souliers à clous. Si jamais tu tombes, ce doit être sur le cul, pas question que le fusil heurte mur ou sol, si tu perds l'équilibre, tu dois tenir, les deux bras levés, ton fusil au-dessus de ta tête... l'arme c'est sacrée !... Eh bien sûr ça m'est arrivé de dévaler ainsi un demi étage sur le cul... avoir les fesses bien pommelées et bien fermes ce n'est pas inutile …
Ainsi, à 11H30, on est encore là à manœuvrer jusqu'à obtenir un ensemble de mouvements parfaitement uniformes. Et l'uniforme, justement, c'est tout à fait de mise à l'armée… il y a bien sûr la tenue pour parader dans les défilés officiels mais, pour l'instant, c'est en treillis que nous évoluons au gré des ordres essentiellement aboyés.
Il y a bien la pause cigarettes qui dure de 5 à 10 minutes ; à ces instants le sergent chef, tout à l'heure, si terrifiant et inflexible, se montre bien plus aimable et même amical, présentant son paquet de gauloises bleue au pauvre gars qui n'a pas de sèches. Une bourrade dans le dos à un autre, le meneur d'hommes est ainsi fait : au cours des exercices c'est impérativement du très sérieux et du très rude, au repos, c'est immanquablement la camaraderie qui prime. Faire corps c'est sans doute cela... et je pense qu'en temps de guerre, l'esprit de corps, l'unité d'un groupe, la solidarité entre ces groupes, la vigilance de chacun, sont d'infaillibles vertus pour épargner des vies, quand on évolue sous le feu de l'ennemi.
Mais de ceci, pour l'heure, nous en sommes bien loin et c'est tant mieux ; il n'empêche que tout le temps des classes est un entraînement au combat, une formation du combattant...
Tous les biffins faisant partie de la 1ère Compagnie sont engagés dans le CS1 qui dure tout un trimestre. Nous sommes donc tous des élèves caporaux (Le caporal, homme de troupe gradé, une fois nommé, se distingue par les deux "sardines" ou chevrons rouges sur le haut des manches de toutes ses diverses tenues militaires) si l'on réussi à l'examen fin septembre, on enchaînera avec le CS2 pour devenir sergent - premier grade des sous-officiers représenté par une deux "sardines" (chevrons) dorées ou argentées suivant l'arme, sur ses manches.
Grades militaires de l'armée de terre.
Dans l'Intendance insigne au béret : la grenade éclatée argentée - grades barrettes et galons argentés..
Nous sommes en Août, voici déjà un mois que nous sommes incorporés et déjà plus d'un Gus a entamé le décompte des jours avant la quille... Ceux là ont bon espoir, mais c'est aussi un jeu...
Dans la chambrée que je partage avec 25 autres troufions, nous avons tous sympathisé. Il y a bien quelques affinités mais dans l’ensemble on est bons copains surtout pour raconter des conneries et des histoires de filles, parque les gars qui sont là, ils ne pensent qu'à ça bien sûr. Courir la gueuse... et pourtant nous n'avons encore pas eu de permission de sortie en ville, étant consignés d'office les deux premiers mois du service et puis il y a les vaccins, par trois fois de 15 jours en 15 jours qui nous secouent pas mal l'organisme et qui par mesure sanitaire, nous maintiennent obligatoirement à la caserne. Les samedi après-midi et dimanche on a liberté de circuler à l'intérieur de notre quartier. Le plus souvent on tape le carton : belote, poker, tarot, ou bien on joue aux dames ou aux échecs. On passe aussi au foyer pour boire le coup en écoutant les derniers succès musicaux du juke-box.
Notre première sortie nous la devons à l’aumônier de la garnison. Les bleus que nous sommes ont droit à cette excursion faite en car militaire pour profiter du bord de mer une journée entière. C'est ainsi qu'au 15 août, nous avons pu déambuler dans Royan, cité juste reconstruite. Au cours du voyage nombre de refrains paillards on été entamés et repris en chœur par tous les passagers… « Allons à Messine... Père Dupanloup... Janeton et sa faucille... etc...» ardeurs d'une jeunesse débordante de vitalité, nourrie des fantasmes nés des vibrations intimes et des montées de sève qui ne sont pas que printanières. Chaud de l’Été au bord de la mer, nous apprécions aussi la baignade de l'après-midi et surtout, avant de rentrer à la nuit, bien installés comme des seigneurs, en terrasse, le menu d'un petit restaurant du littoral qui nous a bien changé des ratas de notre cambuse ordinaire. Les filles !... c'était déjà bien de les voir passer et de leur sourire niaisement car nous étions ravis quand elle nous le rendait.
Le parcours du combattant
Cela fait partie de l’entraînement quotidien et ce n'est pas une partie de plaisir... obstacles en tous genres pour progresser et le plus vite possible. Témérité, vivacité, souplesse, force musculaire sont requis pour être dans les bons temps. Je n'étais pas à la fête : L'échelle de corde à gravir « quatre à quatre » puis, faisant le soleil tout en haut, descendre aussi vite pour se jeter à plat ventre sous les barbelés et ramper sur 25 mètres sans s'accrocher puis courir pour rejoindre les 10 barres parallèles, sautant par dessus la plus haute, passant dessous la plus basse en alternance. On se présentait ensuite face la rivière à passer d'un seul bond avant de franchir dans la foulée le mur de 2,10 m. Passage de la poutre de 7 à 8 m de long... bel exercice casse-gueule avec les godasses à clous ! Nous étions à mi-parcours et, jusqu'à là, je ne m'en étais pas trop mal sorti. Venait alors le redoutable passage des 12 plots disposés en quinconces et espacés de 1m 20, sur la piste sablée. Il fallait pas mal d'élan pour y arriver et surtout un sacré sens de l'équilibre mais, avec ces fichues semelles cloutées, c'était gageure car au 4ème plot, généralement je dévissais et faisais un splendide vol plané, un de mes pieds ayant glissé sur la petite surface bombée de bois parfois vermoulu. Fallait recommencer. Terrible et essoufflant, surtout avec le chef qui vous gueule dessus en vous traitant de brèle à chaque fois que vous vous ramassez... après ces envolées au dessus des plots, c'en était fini des sublimes arabesques, il convenait alors de se précipiter dans la fosse de 2m 20 de profondeur pour s'en sortir aussitôt... le mur nous avait déjà bien éreinté, et sortir de ce trou exigeait que l'on bondisse assez haut pour attraper le bord en surface... A plusieurs, il y avait la solution courte-échelle... au dernier de se débrouiller seul … mais la solidarité chez les bidasse ça a toujours existé, alors l'avant dernier savait tendre la main secourable… pour autant, ce n'en n'était pas fini de nos misères, restait l'échelle métallique droite qui, après nos efforts, était bien mal venue pour nos paumes de mains égratignées devant agripper le métal lisse chauffé au soleil... Pousse ton cul biffin ! magne-toi ! reste encore la planche (ou table) irlandaise à franchir ! Une saloperie en fin de parcours. À 2m20 du sol, choper son entablement haut, se hisser dessus pour la passer... avec du jus de concombre dans les biceps vivement éprouvés et les jambes flageolantes, c'est pratiquement impossible pour qui n'est pas un athlète bien entraîné. Parmi nous, il en était pourtant quelques-uns qui y arrivait, et passait cet obstacle avec force et agilité ; moi, avec mon cul lourd, je n'y parvenais pas et je pestais. Un aspirant me voyant suspendu désespérément impuissant, me poussa le postérieur afin d'effectuer le rétablissement me permettant de me retrouver à plat ventre sur cette maudite planche : ça y était enfin... je sautais à terre et finissais les derniers mètres en trottinant, m'écriant, à bout de souffle : Je l'ai fait les gars, je l'ai fait !...
Il y avait bien sûr les séances de tirs et pour cela nous allions au champ de tir de la Braconne ; Le plus souvent, nous y allions en convoi motorisé, une noria de camions Citroën U55 et SOMECA, mais il arrivait que l'on fasse le trajet à pied, marche au pas cadencé en rangs formés et marche libre en colonne étirée, pour effectuer la quinzaine de kilomètres nous séparant de la garnison en pleine forêt. Nous avions bien sûr appris tout ce qui caractérisait intentionnellement et mécaniquement ces armes : fusils, pistolets mitrailleurs et lance-roquettes et même grenades. Nous devions savoir démonter et remonter les plus courantes dont on avait malicieusement mélangé les pièces pour compliquer les opérations...
Généralement, on s'exerçait avec le GARAND fusil américain du type semi automatique avec chargeur de 8 cartouches pour effectuer un tir sur cible à 200 mètres. Il fallait avoir l'épaule bien solide pour encaisser les effets de recul. Quand c'était notre tour d'aller dans la tranchée de tir sous les cibles pour signaler les impacts aux tireurs à l'aide d'une palette spéciale, on pratiquait ce petit jeu consistant à vite présenter sa palette au moment du tir afin de s'en faire percer la plaque ronde de l'embout. C'était à celui qui aurait le plus de trous. Toutefois, Il valait mieux ne pas être pris car ce genre de blague pouvait coûter 8 jours de taule au fautif farceur.
J'aimais beaucoup moins les tirs avec le pistolet mitrailleur MAT 49 sur cibles mobiles surgissant de manière impromptue. Il fallait éviter que du chargeur de 32 balles, tout parte en rafale ; ce n'était pas aisé de maintenir la position et surtout de faire du coup par coup avec cette arme de combat rapproché, hyper sensible au niveau de la gâchette.
FOMEC...
Alors là, nous sommes dans la stratégie de combat sur champ de bataille. Oui, nous apprenions des formules comme ça pour saisir l'importance de ce que l'on observe sur le terrain pouvant être préjudiciable à l'ennemi autant qu'à nous-mêmes, se situant dans les champs de vision respectifs :
F : forme
O : ombre
M : mouvement
E : éclairage
C : couleurs
En campagne ces termes représentent tout ce qui doit être surveillé de près dans l'un et l'autre camp, impliquant les techniques de camouflage et les différentes manières de se déplacer sans se faire repérer. Discrétion indispensable et œil attentif au moindre détail font le bon combattant...
Et pour mettre en application ces conceptions découlant de cette formule FOMEC par des vrais mecs en action, un après-midi du mois de septembre, on nous a fait exécuter cet exercice pas banal dont je garde un souvenir impérissable. Il s'agissait, étant à bord d'un camion bâche relevée, roulant à environ 30 km/h en cahotant sur un chemin en pleine cambrousse, nous, debout un pied sur la ridelle, de sauter en marche et de se planquer le plus vite possible au coup de sifflet du sergent instructeur. Je dois avouer que je n'étais pas du tout rassuré sur l'issue de cette manœuvre à la con, où me réceptionner au sol sans me rompre les os me semblait improbable. Mais au coup de sifflet j'ai sauté comme les copains...
... Et je me suis bien réceptionné dans un fourré particulièrement épineux... la consigne, après le saut, était surtout de ne pas bouger... ce que je n'avais pas de mal à respecter, vous pensez bien, étant entouré et recouvert de ronces. A l'appel de fin d'exercice, je fis écho… les chefs furent bien étonnés de m'entendre mais de ne point me voir...
Ce jour là, je fus le premier du bataillon avec la meilleure note pour parfaite exécution de l'exercice : aussitôt à terre aussitôt planqué - super trouvaille les gus : je me perçois vainqueur au concours l'épine !...
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Je chante doucement... - Le Mirebalais Indépendant
Tandis que je faisais mes classes avec plus ou moins de succès, au cours de ce mois d'août 1962, mes parents séjournaient à La Trinité /mer, campant dans le même enclos de propriété que cel...