Être dans l'instant pour en savourer toute son incongrue dimension, tenir ses sens en éveil, en cultiver l'acuité pour goûter de la vie le moindre événement, fut-il le plus insignifiant, et en parfait épicurien, savoir apprécier chaque de ces petits riens, conduit à la sagesse, chasse le vaurien. Chaque pan d'une existence doit se vivre comme un bien...
*** Placé sur votre table de chevet, ce fascicule contenant ces petits bijoux de saines recommandations, ces énoncés et récits de plaisirs simples, d'en parcourir les pages avant votre sommeil, vous transportera aux nues de la félicité...
Nous avons oublié ce à quoi, enfant, nous étions très attentif. Recueillir le moment où ce que l'on reçoit, ce à quoi on participe, qui nous paraît aujourd'hui, sans importance, cela, enfant, nous en pénétrions naturellement la quintessence.
Comme toutes choses, un événement a un goût mais aussi une odeur on peut également le toucher, le trouver soyeux, rugueux, mou ou résistant, chaud, tiède ou glacé. Une métamorphose s'opère, non seulement en nous mais aussi dans notre environnement...
Souvenez-vous « les madeleines » de Proust... nous sommes bien dans cette dimension où la saveur tant appréciée s'associe au cadre de ce moment puis, s'inscrit dans la mémoire se mêlant à bien d'autres instants faisant d'une futilité passée, un éternel présent.
La Brasserie du Palais à Poitiers (aujourd'hui : "La Gazette").
Qui se souvient de sa première gorgée de bière ?
Moi, vous avouerais-je et je ne suis pas seul... il suffit de retrouver le goût d'amertume et la fraîcheur de ce breuvage, vécu à cet instant. N'oubliez pas que, réciproquement, la circonstance redonne aussi son goût à l'événement...
Eh bien, en ce qui me concerne, s'agissant d'une telle expérience, je vous dirais précisément que c'était en 1957, au mois de Septembre, il faisait encore bien chaud, avec mon père nous étions entrés dans la brasserie du Palais juste à côté du tribunal de Poitiers. Pour attendre ma mère installée sous le casque chauffant en cours de mise-en-plis et permanente, chez sa coiffeuse habituelle, mon père avait acheté « Le Hérisson » à la maison de la presse voisine avant de nous installer à un guéridon de la salle de café. Un serveur au grand tablier blanc s'enquit de notre commande. Deux pressions s'il vous plaît, lui dit mon père.
Mais papa je n'ai jamais bu de bière...
Te voilà jeune-homme maintenant et je sais que tu apprécieras cette boisson pour sa fraîcheur, sa couleur, et son incomparable saveur.
Ce fut bien, à mes 13 ans et demi, ma première gorgée de bière... les lèvres dans la mousse, le liquide amère mais savoureux et frais, glisse sur ma langue... suit aussitôt ce goût en bouche qui se propage dans le gosier avec une agréable insistance... Le palais émoustillé, il me faut absorber une autre gorgée... le palais ! Justement nous sommes juste à côté de celui dit de justice... (laisse-t-elle aussi ce goût d'amertume, après tant d'émulsions dans le prétoire ?). Je me délecte de ce breuvage et il me revient en même temps un souvenir olfactif remontant trois ans plus tôt, une odeur tenace de houblon émanant du cellier, chez les grands parents d'un camarade de classe à Lesparre... leur maison en était totalement imprégnée. Des effluves bien particulières qui maintenant ont un goût pour moi... et déjà j'aime ce goût... je ne l'oublierai jamais d'autant qu'il s'associe à cette remarque de mon père : « Te voilà jeune-homme maintenant »...
Philippe Ddelerm nous fait plonger dans ce monde des petites sensations, qui, à priori, semblent insignifiantes mais, pour qui les savoure dans l'instant avec toute la force de son âme, elles revêtent alors une dimension bien plus grande et vous laissent l'empreinte indélébile de leur manifestation. La force de l'instantané persiste jusqu'à la jouissance prégnante qui exacerbe le souvenir autant que les sens.
Les odeurs sont panoramas, les bruits sont parfums, les paysages se goûtent, les saveurs se palpent, le monde vibre en vous jusqu’à l'enchantement, le soleil se baigne dans votre verre de bière, le ciel est dans votre bouche. Ne cherchez pas l'erreur... la vie se manifeste dans un chaos que nos sens organisent quand la raison s'en empare pour en séparer les diverses émanations. Enfants et poètes, eux, en retrouvent l'auguste primitivisme, ce délice des origines, ces chants limpides du paradis... les ténèbres sont transpercés de Lumière.
Et me voilà soudain à l'âge de 5 ans, prenant mon petit déjeuner sous la tonnelle à Vanves. Du café au lait où trempent des morceaux de pains que je recueille avec délice dans ma cuillère. Quelle extase !... Parce que le goût de ce breuvage s'imprègne du bleu du ciel, des petits nuages blancs qui le parcourent, du bourdonnement d'une abeille, du parfum des roses dont les tiges épineuses s'entrelacent sur la pergola et du vol audacieux des hirondelles plongeant vers leurs nids aux becs avides. Tout cela ne fait qu'un dans mon être si attentif au monde à ces instants de félicité.
Alors lisez cet ouvrage*** de Philippe Delerm, il ne serait pas étonnant qu'à votre tour vous ne reviviez pas ces délices existentiels, autrefois savourés si spontanément, surgissant dans le souvenir et à régurgiter maintenant comme la première gorgée de bière ineffaçable de votre mémoire...
Menu de ces menus plaisirs... (cliquer sur la première image pour les voir intégralement l"une et l'autre).
Être présent au monde pour que chaque jour soit une fête !...