Dans le cadre de Journée mondiale de la sensibilisation à l'autisme
Réédition d'un article initialement publié le 30/06/2012 à 11:57.
Quel beau garçon ! Jeune, il jouissait d'une stature élégante, un corps bien proportionné et un visage aux traits fins qu’illuminaient de grands yeux bleu pastel dont le regard se perdait dans le vague.
Eric était une énigme vivante … son destin attenant à d'autres fortunes que celles que le commun des mortels envisage ordinairement, en a fait un être à part.
L’existence d’Éric a ceci de singulier qu'elle se déroule sans orientation, sans destination particulière, sans but précis... Il est là parmi nous, comme un passager de la vie embarqué sans passeport mais qui ne serait pas clandestin...
A vivre à ses côtés, on ne pouvait ne pas se demander : mais qu'est-il venu faire dans notre monde cet Éric là et quel sens pourrait-on bien donner à sa vie ? En fait, qu'attendait-il, lui, de la vie ? Il semble bien que cette question ne le souciait guère car, il faut bien le dire, Éric ne faisait pas grand chose, n'avait aucunement l'intention d’œuvrer à quoi que ce soit et n'avait donc pas de projets…
A nous donc, tout autour, d'en avoir pour lui …
Il venait d’avoir 15 ans quand je l'ai rencontré pour la première fois... Je dois bien avouer qu'il est choquant de découvrir une aussi belle et charmante personne à ce point inhibée, limitée dans tous les champs de l'expression humaine : la gestuelle, la vocale, la cognitive... On a tôt fait de réaliser, que des performances, de sa part, il ne faudra en escompter aucune...
De type longiligne, il a aussi des mains très fines aux longs doigts. Une hypersensibilité tactile est révélée par le fait qu'il effleure plus qu'il ne saisit. Le toucher est à ce point exacerbé qu'il prend tout du bout des doigts, c'est comme si le contact de tout corps étranger lui était insupportable et le répugnait...
S'ajoute à cela beaucoup de raideur dans la façon de se mouvoir. Bras et jambes comme les ailes d'un moulin à vent, battent l'air en saccades et s'articulent sans souplesse …
C'est aussi du bout des lèvres qu'il fait entendre le son de sa voix. Le plus souvent, il susurre ce qu'il a à dire. Mais s'il est irrité, alors il peut, un court instant, se manifester de façon tonitruante. En colère il vient à vociférer des jurons en mots qui claquent sèchement... Même dans les instants de grande sérénité, il affectionne un vocabulaire propre à dépeindre un monde dantesque, il prend plaisir à proférer les mots : chimère, vipère, sorcière, diable, enfer, damnation, gargouille, grimace, feu, supplice, dragon, chaudron... Les sortant de sa bouche à maintes occasions, le fait partir dans de brusques éclats de rire...
Ainsi décrit, on est en droit de se demander : mais, en présence de qui sommes-nous ?
C'est la bonne question...
Avec ses camarades lors des 20 ans du Centre Saint-Martin en 1985
Plutôt que de le stigmatiser en caractérisant ses comportements peu ordinaires avec des mots savants tirés d'une terminologie spécifique du langage psy, préférons outrepasser ces turpitudes passagères et tentons de lire au travers, via ces instants où Éric ayant capté notre attention, nous livre son vrai message...
Et que nous dit ce message ?
« Je suis là, moi Éric, non pour que tu répondes à mes dérives comportementales mais pour que tu t’intéresses à moi, non pas à ma problématique mais à moi, tout simplement. Alors tu apprendras un peu plus de ce que tu dois savoir non seulement sur moi mais surtout sur toi... je suis comme un miroir, le miroir de ton âme, si tu préfères. Ce que tu ressens, je le ressens tellement plus fort que toi, ce qui t'angoisse, moi je le ressens aussi et bien plus profondément encore, jusqu’au fond de tes pensées, je lis en toi, et m’imbibes de leur essence ... En vérité, moi Eric, je suis là pour toi... »
??? … Une interprétation toute personnelle, répondrez-vous… C’est bien possible mais, vivre à proximité de personnes affectées de déficience mentale ou touchées par une forme pathologique jamais clairement définie, manifestée à travers un ensemble de symptômes ou syndromes plus ou moins prononcés, vous entraine dans un univers tellement différent du nôtre… Leur monde, à ces personnes marginalisées par la « maladie mentale », n’est ni un désert, ni un chaos… ce n’est ni le paradis, ni l’enfer mais plus certainement un lieu d’épreuves ténues, incessantes, parce que la perception du monde qu’elles partagent avec nous, les irrite et, intérieurement, la souffrance est omniprésente. Certaines « présences » leur sont insupportables qu’elles soient tangibles ou métaphysiques…
De ce fait, on en vient à découvrir que lorsque s’exprime leur mal-être c’est, le plus souvent en échos à notre propre « rayonnement »… Quand, auprès de ces êtres humains si « différents » nous sommes calmes, ils sont calmes également, que nous soyons préoccupés ou tendus, et ils se montrent agités… quels éducateurs n’ont pas vécu ces expériences, parfois fort douloureusement ? Ils sont le « miroir » où se reflète non seulement nos sentiments, mais aussi nos pensées… et que se produit-il quand nous en prenons conscience ? Eh bien, c’est sur nous-mêmes que nous intervenons, et exerçons notre influence éducative… C’est notre attitude et non la-leur que nous devons corriger. De la sorte nous apprenons à nous maîtriser dans notre vie affective et dans la conduite de nos pensées. Quelle leçon !
Voilà bien qui donne tout son sens à la vie d’Eric…
Un regard profond qui interroge nos coeurs ...
Son existence, il la mène à travers nous, nos intentions, nos projets deviennent les siens. Les seuls résultats qu’il attend ce sont ceux qui tiennent à notre progression… ainsi exprimé c’est très loin aller… pourtant, ayant saisi cela, alors, comme dit plus haut, on en vient à découvrir quelques pans de notre personnalité que l’on ne soupçonnait guère et pas forcément ceux qui nous valorisent, bien au contraire…
L’étape suivante, dans une telle quête, nous pousse à chercher ce qui se révèle de cette personnalité si particulière qui nous a renvoyé à nous-mêmes… et là, ce ne sont plus les déficits, les égarements, les afflictions que nous prenons en compte mais le « tissu spirituel » qui sous-tend son destin d’exception…
Ainsi ; l’humour qu’on ne décelait pas auparavant, il s’avère que, c’est, à lui, sa véritable façon d’aimer, il apparait tout à coup que ses : « chimère, vipère, sorcière, diable, enfer, damnation, gargouille, grimace, feu, supplice, dragon, chaudron... », font partie de ce qu’il affectionne le plus : les cathédrales !
En effet, Eric vouait une profonde admiration pour tous les édifices religieux étant plus fortement attiré par ceux érigés dans le style gothique… Tout ce qui tire vers le haut le fascinait. Ayant de nombreux livres sur ce sujet, il pouvait, les feuilletant des heures durant, contempler les illustrations qu’ils contenaient. Il connaissait toutes les grandes cathédrales de France et d’Europe. Sur chaque gravure de n’importe quel ouvrage les présentant, il les reconnaissait en citant pour chacune l’appellation et la ville où elle était sise. Sachant faire la distinction entre le style roman et gothique, il ne se trompait jamais pour les cataloguer. Il était capable de désigner les parties de la construction en employant les termes appropriés et donc savait ce qu’était une crypte, une nef, des déambulatoires, l’abside, le transept, le triforium, les tribunes, mais aussi les travées, les croisées d’ogives, les colonnettes, les chapiteaux, les archivoltes, les arcs boutants, les piles, les culées, les gables, les voussures, les tympans. A ses connaissances, s’ajoutaient celles du programme iconographique se rapportant à chacune de ses grandes églises. De ce fait, il n’est pas étonnant que de célébrissimes « jugements derniers » au haut des porches d’illustres édifices, aient inspiré une partie du vocabulaire qu’il utilisait dans ses moments de vive émotion…
Ce thème des cathédrales constituait la pierre d’achoppement pour entrer en contact avec Eric… partageant sa passion, assis à ses côtés pour tourner les pages de ses magnifiques livres, et le questionnant à propos de chaque vue, il prenait beaucoup de plaisir à nous répondre et nous instruire… Un jour, alors qu’ensemble nous consultions une revue de grande diffusion, il y avait entre autres illustrations, celle d’une cathédrale et moi voulant lui montrer que je la reconnaissais j’anticipe en m’écriant : « eh mais c’est la cathédrale de Senlis, là ! - tu te trompes, Lucquiaud, c’est la cathédrale de Noyon, me répondit-il du tac au tac … - ah bon, tu crois ? - C’est Noyon te dis-je !... Et il avait raison …
Jeune, il les dessinait en quelques coups de crayons. Son graphisme tenait de l’ébauche constituée de traits jetés à la hâte sur le papier mais, l’essentiel de ce de devait apparaître d’une cathédrale gothique y figurait bel et bien…
Eric s’était parfaitement intégré à la vie institutionnelle, et suivait le déroulement de la journée sans rechigner allant à toutes activités proposées. En atelier, arrivant toujours à l’heure, si même il était peu productif, il était bien présent et pouvait se rendre utile pour aller quérir des outils dont on avait besoin, pour tenir les planches que nous avions à découper et pour effectuer les petits travaux de finition. Son ponçage au papier de verre était tellement superficiel qu’à partir de cette action râpeuse, il lustrait les objets qu’on lui confiait…
Il adorait toutes les festivités et particulièrement celle en rapport avec Noël. Au cours des préparations, il était rayonnant, joyeux et contre son habitude, manifestait un certain entrain. Son engouement pour les « Jeux de Noël » était réel. Eric ayant des choix bien prononcés entre ce qu’il aberrait et ce qu’il affectionnait mais, étant en certaines occasions imprévisible, il s’avéra que c’est le rôle de l’âne de la crèche qui lui convenait et qu’il interprétait avec brio. C’est avec une délicieuse malice et tout l’humour s’y rapportant, qu’à la suite des autres animaux hérauts, en la Nuit de Noël, annonçant la Naissance du Messie aux Bergers, il criait au bon moment : « Hi Han ! Hi Han ! Maintenant ! » …
Un grand moment d'émotion quand son ami Thierry lui offre le Bouquet d'anniversaire pour ses 50 ans...
Avançant en âge, son état de santé s’est fragilisé et ses reflexes vitaux se sont amenuisés, un affaiblissement progressif et irréversible qui s’est achevé à son décès survenu le 18 juin 2012. Il aurait eu 62 ans le 30 Juillet de cette année…
Eric a rejoint cet Au-delà qui nous aspire tous… Sur un nouveau chemin, le voici éclaireur de son propre destin, préparant aussi la route pour tous ceux croisés, ici, sur terre.
Cette élévation, de son vivant, il nous en montrait la splendeur terrestre manifestée par les grands-œuvres des bâtisseurs de cathédrales, maintenant, depuis son séjour céleste, il nous adresse le sublime Rayonnement qui émane de la Voute parfaite …
Autisme ... l'essentiel est invisible pour les yeux ... - Le Mirebalais Indépendant
Réédition d'un article paru le 17/09/2007 Le film " Elle s'Appelle Sabine " de Sandrine Bonnaire , diffusé, le Vendredi 14/09/2007, à 20H50 sur FR3, a vraiment de quoi émouvoir ... J'ai beauco...
à propos de l'autisme...