Eh bien alors, qu’allais-je faire plus tard à l’âge adulte ? Age où l’on doit être en mesure de gagner sa croûte, comme se plaisaient à nous le rabâcher nos chers parents …
A 18 ans et demi, devançant l’appel, je suis parti faire mon service militaire et, au retour, après quelques péripéties, en fin d’année 1965, je me suis retrouvé au Centre Saint Martin comme éducateur stagiaire auprès d’adolescents handicapés mentaux…
Et dans l’accompagnement de ces jeunes, au quotidien, il était important de se servir de ses mains comme l’exigeait la plupart des tâches. Les travaux que nous faisions auprès d’eux nous engageaient dans des activités de jardinage, de boissellerie, de tissage, de vannerie auxquelles s’ajoutaient toutes les activités ménagères … Au cours des premiers mois passés dans cette institution, je fus affecté au jardin. A moi les plaisirs de la faux, du croc de la fourche, de la bêche puis du râteau. Avant d’être jardinier, nous devions être défricheurs. Vous dirai-je que j’ai trouvé ça pénible, au début … Pourtant, petit à petit, je prenais goût à ces travaux rudes qui provoquent cette bonne fatigue laquelle entraîne un excellent sommeil réparateur … Puis ce furent des chantiers extérieurs en tous genres : abattage de vieux poulaillers, montage d’un nouveau, installation de clôtures, bûcheronnage, débroussaillage en forêt où l’on allait jusqu’à dessoucher à la barre à mine, puis construction d’appentis et reconstruction d’une serre. Nous retapions aussi tous les bâtiments des dépendances, décapant le vieil enduit des murs ou abattant certaines cloisons et murs de refend en briques. Récupérant ces dernières, nous les grattions une à une pour les dégager du salpêtre…
Puis en 1968, avec mon groupe de compagnons j’ai eu à réaliser les fondations de la première menuiserie … Travail de pioches pour les creuser puis, empierrage du fond, ferraillage et coulage du béton préparé tout à la main. Ainsi je réalisais ma première semelle de fondation. Montage des premiers parpaings … Ce travail m’enchantait particulièrement et je constatais que pour mes compagnons c’était une excellente et saine activité : Construire… bâtir… édifier …
Ce fut la révélation. Je serai moniteur d’atelier et la matière professionnelle sera la maçonnerie …Avec l’accord du directeur je m’inscrivis, à un stage de formation professionnelle au CFPA de Caen …
Le Dimanche 20 Avril 1969, ayant chargé mon Anglia avec toutes mes affaires perso, le cœur serré, je quittais Le Centre Saint Martin pour aller effectuer, à 170 Km de là, mon stage en « maçonnerie Moderne » à Caen .
Le mois d’avant, j’avais retenu une chambre louée à deux sœurs, vieilles filles, rue du Beau Site, à environ 2 Km, de mon futur lieu de stage…
Ce dimanche là, en début d’après-midi, je prenais possession de mon petit logement et y déposait mes affaires …
Puis, pour ne pas top cafarder, je reprenais la voiture pour découvrir la région à l’entour … En fin d’après-midi je me suis retrouvé à Vire… Dans un restaurant sympa, je m’octroyais une agréable dégustation de l’andouille spécialitée de cette localité …
Ah oui, à l’époque, je fumais… Changeant de lieu et d’activité, je prenais la résolution de cesser le tabac… J’allais tenir bon pendant les 7 mois du stage et ne plus toucher une seule cigarette…
Le lendemain, Lundi 21 Avril, j’arrivais à 8 h tapante au CFPA. Je rejoignais le groupe des stagiaires et découvrais mes nouveaux collègues … Nous étions une promotion de 16 apprentis maçons d’une palette d’âge s’étendant entre 19 et 49 ans. Deux ont quitté le stage avant la fin … Après les présentations et la visite des lieux, nôtre première tâche fut de démonter l’œuvre d’examen de la promotion qui nous avait précédés. Le lendemain démarraient nos cours, théoriques les deux premières heures de la matinée et pratique tout le restant de la journée. Nous disposions chacun d’un établi et d’une caisse d’outil complète dont certains que nous pourrions garder si nous obtenions en fin de stage notre CAP … Chaque matinée commençait par du dessin technique et de la lecture de plans puis ensuite c’était le cours de maçonnerie. En fin de semaine, le Samedi matin nous avions un cours sur les consignes de sécurité à respecter et appliquer sur les chantiers …
Bien vite, je me familiarisais avec ce métier dont j’appréciais toutes les opérations. Autour de moi j’avais noué des liens amicaux avec mes collègues tous sympas et solidaires. L’entraide en cours d’exercices, faisait intégralement partie de la formation … On travaille souvent en équipe sur les chantiers … cela crée des liens et on en apprend tout autant des autres.
C’est donc avec gaieté de cœur et entrain que, chaque matin, je quittais ma piaule pour aller au boulot, effectuant le parcours, la plus part du temps, à pied. Les deux premiers mois passèrent très vite. Nous arrivions à l’Eté …
Le samedi nous finissions notre journée de travail à midi. On se retrouvait une bande de collègues pour l’apéro de fin de semaine dans un petit bar, non loin du CFPA. Parfois on se retrouvait à deux trois pour aller faire une virée. Plusieurs fois avec Julien et Pierre nous sommes allés au Mont Saint Michel distant de 120 Km. Quand je n’effectuais pas ces sorties, je restais seul dans ma piaule à lire ou dessiner. J’aimais beaucoup dessiner… A l’époque j’illustrais, à ma manière des légendes de la Table Ronde, des scènes de construction de cathédrales ou bien des scènes champêtres. Je me souviens d’un dessin : « La fille aux chats » que j’avais donné lors de mon départ à mes logeuses qui avaient toujours été très gentilles avec moi et qui adoraient cette esquisse … Je dessinais en écoutant, à la radio, « l’oreille en coin » une émission où Jean Yanne et Jacques Martin animaient les séquences humour parfois grinçant. C’est aussi sur la voix des ondes que cette année là, Serge Lama faisait ses débuts dans la chanson avec « c’est toujours comme ça la première fois » Jane Birkin faisait aussi ses débuts reprenant une chanson de Julie Bergen: « Un oiseau sur la branche, plume bleue plume blanche… » Elle nous charmait de sa petite voix claire ponctuée par son adorable accent anglais.
A propos de Pierre, c’était un pauvre gars, pupille de la nation, quelque peu paumé. Il restait tout le temps à l’hébergement du CFPA, les week-end compris. Il n’était guère apprécié de ses collègues à cause de son côté bourru, un peu ours et surtout, il sentait mauvais … L’hygiène ce n’était pas son truc… Il s’était pris de sympathie pour moi et, en retour, je luis accordais une réelle amitié … Il faisait partie de toutes nos escapades. Petit à petit, je lui ai fait comprendre qu’il devait se laver tous les jours et changer de linge régulièrement. Je lui ai donné quelques vêtements dont une veste en tweed qu’il affectionnait particulièrement. A la suite de mes remarques et des explications émises à des moments où nous n’étions que tous les deux, il fit plus attention à son aspect et faisait sa toilette plus régulièrement…
Il y avait aussi un autre collègue, plutôt fantaisiste et grande goule … Marc qui aimait parler politique … Il revendiquait sa position de gauchiste pur et dur et espérait vivement que se rassemblant derrière le leader communiste du moment, les choses allaient vraiment mieux « Marchais » … C’est vous dire qu’au moment des pauses cigarettes, ( Mais pas pour moi , merci …) les conversations à refaire le monde étaient fort animées … Marc avait aussi sa façon humoristique pour commenter les choses et il y mettait autant de gestes amples parfois emportées que d’intensité vocale pour exprimer ses idéaux politiques. Je ne partageais pas ses vues extrêmes avec son sempiternel leitmotiv : « l’exploitation du prolétariat par les grands manitous*» (*c’était le terme qu’il aimait employer pour qualifier grands patrons et grosses fortunes) Alors parfois, entre nous, le ton montait puis, tout à coup, une bourrade dans le dos et on éclatait de rire… Parfois on remettait ça à l’apéro de fin de semaine. On se chamaillait verbalement mais on s’appréciait beaucoup. Dans cette promo, il n’y avait que des braves types et tous bossaient sérieusement pour apprendre le métier de maçon. Avec Marc nous avions même trouvé des petits chantiers à faire en extra après le temps d’apprentissage ou certaines fin de semaine … ça mettait du beurre dans les épinards, comme on dit… Marc, si il était costaud et bosseur, n’était guère méticuleux et adoptait assez souvent la méthode coué … Quand je lui en faisait la remarque il me répondait toujours en souriant : « t’occupes, c’est bien bon comme ça !… »
Il faut dire que nous avions les Assedic comme traitement, et, bien sûr, il convenait de faire très attention à nos dépenses. Pour mon compte, ça me changeait de mon salaire d’éducateur au Centre St Martin, mes nouveaux revenus étant vraiment revus à la baisse... Mais bon... je m’en sortais quand même et, jeune, on apprend vite à vivre selon ses ressources. L’essentiel étant qu’à ce moment j’apprenais un travail qui me plaisait et me motivait bougrement…
Je me souviens que comme ouvrage d’application en, réel comme on disait, par opposition aux exercices courants, nous avions refait toutes les allées autour du logement du directeur du CFPA. A l’origine gravillonnées, nous les avons refaites en béton avec chape de mortier fin coloré ocre rouge et bouchardée. En plein mois de juillet et en plein soleil, nous avions, plus d’une fois, mouillé la chemise…. Mais, à nous tous, en une semaine nous avions réalisé plus de 150 mètres d’allées. Dès lors, le directeur n’a plus fait crisser ses semelles de chaussures sur les graviers. Il parut enchanté par notre labeur et nous en félicita …
Les dimanches de cet été là, nous aimions nous retrouver à Courseules / mer pour la baignade et la drague… nous faisions aussi un tour au casino de Luc / mer… Hélas nous n’y avons jamais trouvé la fortune …
Au milieu du mois d’Août j’ai contracté une grosse angine qui m’a cloué au lit avec une fièvre de cheval, ceci, quatre jours consécutifs… Heureusement mes braves bailleuses se sont bien occupées de moi. Cela m’a valu une semaine d’arrêt. En fait, j’étais bien frustré d’interrompre mon apprentissage … Quand la fièvre a commencé à baisser, je me suis mis à lire « Autant en emporte le Vent » , un pavé que j’ai lu en à peine une semaine tellement j’étais complètement happé par la lecture et subjugué par la forte personnalité de l’héroïne Starlett O Hara … Quelques mois plus tard j’avais pu aller voir le film de 1938 remasterisé avec Clark Gable, Vivian Legh et Olivia de Havilland … Une merveille !...
Je me souviens aussi d’être allé au cinéma Boulevard du Maréchal Leclerc à Caen, voir « Bulitt » avec Steve McQueen … film marqué par l’impressionnante course poursuite de puissantes voitures américaines dans les rues de San Francisco : Ford Mustang du film, Ford Capri modèle sport très prisé en Europe à la fin de ces années soixante et Ford Anglia pour me véhiculer … Décidément, j’étais bien dans mon « Ford » intérieur à cette époque.
L’automne arriva, à cette période nous finissions nos exercices en extérieurs, devant notre grand atelier, sortes de petites maisons ou plutôt de cellules … je revois le « petit » André courir sur le faîte de ses murs de parpaings à 2, 80 du sol faisant le tour de sa construction et, avec une grande agilité, sautant par dessus les baies qui attendaient leurs linteaux en béton armé…
Avant cela, nous avions fait des exercices de limousinerie, taillant des moellons que nous assemblions en mur. Même si je n’étais pas des plus adroits à la taille des pierres, j’avais adoré ce type de travail au « têtu à panes » … J’aimais particulièrement exécuter les différents appareillages en briques, très usités en construction traditionnelle dans le nord de l’hexagone.
Puis arriva le mois de novembre, le dernier du stage puis, à la fin de celui-ci, la semaine de l’examen… Cette fois, nous étions vraiment livrés à nous même, c’était chacun pour soi… Ce dernier lundi, on nous remit les plans de notre exercice qui associaient un petit panel des techniques apprises les mois précédents : Un mur avec appareillage à l’anglaise en briques avec, retour en parpaings, cloisons internes en briques creuses, linteaux armés, dont un sur poteaux en béton à coffrer et armer. Certaines parties de la construction étaient à enduire au mortier fin. La consigne était de peaufiner les arêtes et bien présenter les feuillures en respectant les cotes au millimètre près. En fin de semaine les deux dernières matinées étaient consacrées à la théorie avec étude de plans, réalisation de plans simples puis questions de techniques et de sécurité.
Enfin le 28 Novembre au matin nous fûmes réunis pour l’annonce des résultats, les juges examinateurs étant passés la veille pour évaluer nos ouvrages … En fait, victoire ! Tous, avions obtenu notre CAP de maçon…
Personnellement j’étais fier car j’étais major de la promotion, deuxième en pratique, premier en théorie et premier en sécurité…
Le 30 Novembre, ayant remercié mes braves logeuses, je chargeais ma vieille Anglia pour rentrer à Saint Martin … G. D. le directeur de l’institut avait besoin d’urgence d’éducateurs, et comptait sur ma présence immédiate …Moi, qui escomptait faire un à deux ans de chantiers pour me faire la main, j’étais tenu de réintégrer des lieux qui bien sûr, m’étaient chers, mais hélas, bien avant la date que je m’étais fixée …