Rivale et Révélatrice... Rivale ou Faire-valoir... cette saga intimiste dans le Naples des années 50-60 à aujourd’hui, en 4 volumes, nous raconte la vie de deux êtres féminins de nature à la fois très différente et très proche, ne pouvant réciproquement, mais à des degrés divers, se défaire de la vie de l'autre, y compris dans les longues périodes de séparation.
Le premier livre nous entraîne dans un quartier populeux de la banlieue napolitaine aux immeubles vétustes où grouille une foule d'individus des basses classes, un monde de gagne-misères, besogneux d'où émerge deux familles de nantis commerçants à la limite mafieux. En 1950, c'est dans cet univers glauque que deux petites filles de 6 ans fréquentant la même école primaire, se retrouvent pour jouer à la poupée... Au fil des pages nous découvrons les jeux, les affects, les défis de leur enfance puis de leur adolescence les mettant en concurrence tout en les rendant toujours plus complices.
Extrait du Chapitre 10 (page 62)
« On se voyait de plus en plus souvent dans notre cour. Nous nous montrions nos poupées l'air de rien, l'une dans les parages de l'autre comme si chacune était seule. De temps entemps nous les faisions se rencontrer pour essayer, pour voir si elles s'entendaient bien. Et ainsi arriva le jour où nous étions devant le soupirail de la cave avec la grille décollée : nous procédâmes à l'échange, elle tint un peu ma poupée et moi la sienne, et de but en blanc Lila fit passer Tina à travers l'ouverture du grillage et la laissa tomber...»
Photos des actrices principales de la série télévisée : Elisa Del Genio : Lenù enfant - Ludovica Nasti : Lila enfant // Gaia Girace : Raffaella « Lila » Cerullo adolescente - Margherita Mazzucco : Elena « Lenù » Greco adolescente. Epoustouflantes de véracité... puissamment émouvantes...
Bien qu'ayant vu les deux saisons de la série diffusée au cours de ces deux dernières années, sur Canal +, ayant le même intitulé que le roman, j'ai entrepris la lecture de ces livres avec beaucoup d'intérêt. Il s'avère que ce n'est nullement entravant d'avoir suivi au préalable les éditions filmées. Bien sûr les visages que le film met en scène, sont présents à l'esprit mais sans être prégnant au fil des pages... surtout ceux des deux héroïnes : Lila et Lena. Il faut convenir que le choix des actrices enfants puis adolescentes, correspond en tous points à ce que l'auteure nous décrit de leur apparence physique et de leurs traits de caractère. Quant aux lieux, au-delà des scènes de tournage bien campées, on se les représente parfaitement en imaginant aisément d'autres aspects de cet environnement où évoluent les gamines, ainsi que bien d'autres paysages, sites, quartiers de ville provenant des descriptions que nous en fait l'auteure.
La lecture nous apporte aussi bien plus de détails et de subtilités psychologiques tenant aux ressentis, aux intentions et menées des personnages. Nous pénétrons tantôt de manière très intimiste, tantôt, hors toutes pudeurs et retenues, l'âme des fillettes et des adolescentes qu'elles deviennent.
Toutefois, c'est Elena (diminutif : Lenu - personnage éponyme de l'auteure) qui raconte... Raphaëla, (qu'elle appelle Lila) vit à travers elle, comme fil d’Ariane, dans le rédigé du Roman mais aussi dans l'interface du personnage où la fusion est quasi permanente... Autour, c'est toute cette population (Plèbe selon l’institutrice Mme Oliviera…) de l’Italie napolitaine des années 50 qui s'anime avec ce cortège d'émotions vives, de vindictes, de jalousies, de suspicions, de rancœurs, d'envies, de peurs et de violences, nés de l'âpreté de l'existence, des tourments de la vie, des frustrations, de la misère sociale et culturelle et des relents de la guerre non encore réprimés. Pourtant, face à cette stagnation dans la pauvreté, un monde se modernise : les techniques, le confort matériel évoluent, creusant de plus en plus le fossé entre les générations. Voilà ce que dans le premier livre, dans l'espace d'une dizaine d'année, vont vivre ces deux fillettes qui seront jeunes filles en 1960...
Non en polarité systématique de leurs caractères, façon d'être et de réagir, aspirations, au-delà de leur milieux de vie familiaux comparables, enracinés dans la pauvreté et un certain misérabilisme, bien des aspects de leurs personnalités, les opposent.
Parfois on se dit qu'elles sont amies malgré elles... pourtant elles sont inséparables... Voici maintenant ce que cela a suscité en moi comme réflexion :
J'ouvre donc cette parenthèse pour, au-delà de la notion j'aime ou je n'aime pas, évoquer ce que sont, hors la trivialité de leurs concepts, les notions justes de sympathie et antipathie, à partir de cette observation :
L'image de l'autre et la totalité de son être, présent dans notre espace, déjà, naturellement, nous submerge et envahit nôtre être. En résulte l'imprégnation par l’apparence et la manifestation de l'Autre face à soi...
La sympathie n'est pas que ce courant qui nous fait apprécier positivement les êtres que nous croisons et qui nous entourent, au gré de nos affects, c'est surtout ce qui nous lie de manière indéfectible à ce que nous sommes et nous ressemble totalement, la sympathie se manifeste par une puissante attraction...
L'antipathie n'est pas, elle aussi, que ce courant qui nous fait apprécier négativement les êtres que nous croisons et qui nous entourent au gré de nos affects, c'est surtout ce que nous rejetons intrinsèque qui ne sied pas à ce que nous sommes, ne nous ressemblant aucunement, l'antipathie se manifeste par une puissante répulsion...
On pourrait traduire cela ainsi :
- La sympathie c'est absolument moi...
- L'antipathie ce n'est nullement moi...
Au delà des affects, cette ambivalence polaire a une mission bien définie qui me permet à la fois de me rapprocher ou de me distancer non seulement des êtres mais de ce que tout mon esprit vient à embrasser surgissant dans le champ de ma conscience. C'est justement parce que je suis doté de ces deux forces en polarité de l'âme, que je peux appréhender le monde, le découvrir et le comprendre. En étant toute sympathie, je resterais dans l'impossibilité de me démarquer de ce monde et donc de pouvoir me ressentir comme un être différent et opposé à ce monde et donc que ce monde me parle. En étant toute antipathie, je serais incapable de connaître quoi que ce soit de ce monde n'envisageant que ma personne comme seule conforme et digne d’intérêt et donc dans l'impossibilité de me mettre à l'écoute de ce monde.
Je ne peux apprendre et comprendre ce qu'il y a connaître du monde que parce que je suis doté de ces deux forces de l'âme qui, à la fois, attirent puis rejettent tantôt en alternance, tantôt de concert, ce que cette âme rencontre à chacune de ses avancées.
L'illustration parfaite de cette assertion tient à ce qu'il se passe dans toute conversation ou dialogue.
-
J'écoute celui ou celle qui me parle (je suis en totale « sympathie » – tout à fait attentif à ce qu'il ou elle dit ou explique)
-
Je réponds à mon tour à cet interlocuteur/trice/ (Je suis en parfaite « antipathie » étant engagé à exprimer ce que je pense vraiment et veux formuler puis faire entendre dans l'instant)
Ainsi se poursuit ce mouvement sympathie/antipathie s'alternant en moi entre écoute et prise de parole...
Nous avons largement dépassé là, la notion « aimer » ou « ne pas aimer »...
Et c'est là, justement, que se créée un nouvel espace laissant le champ libre à cette autre notion de plus en plus envisagée à notre époque à travers nos rapports humains et que nous nommons : empathie.
Ce qui vient d'être développé ci-avant peut alors nous permettre de comprendre, au-delà de certaines ambiguïtés et confusions des sentiments, la complexité des rapports entre ces deux personnages à la forte personnalité du roman fleuve d'Elena Ferrante. Contrairement à ce que l'on pourrait penser, résultant des descriptions que l'auteure nous en fait, il n'est pas que Lila comme personnage au caractère bien trempé, celle qu'elle nous semblerait sans cesse dominer, Lena, est toute aussi forte et déterminée...
Au-delà des chemins qui se séparent, l'amitié indestructible, c'est parfois de l'amour féroce ...
Extrait du chapitre 10 (page 63)
« … J'éprouvais une douleur extrêmement violente, mais je sentais que la douleur de se fâcher avec elle serait plus forte encore. J'étais comme étranglée par deux souffrances : une déjà en acte, la perte de ma poupée, et une potentielle, la perte de Lila. Je ne dis rien et ne fis qu'un geste, sans montrer de dépit et comme si c'était naturel, même si ce ne l'était pas et si je savais que je risquais gros : je me contentais de jeter dans la cave sa Nu, la poupée qu'elle venait de me donner. »
Traduit de l'Italien par Elsa Damien, le style simple facilitant la lecture, a recours aux mots justes, avec une alternance du narratif pour les situations, et des dialogues amenés spontanément. Les descriptions des lieux, des intrigues sont plutôt détaillées, forts en rendu d'états d'âme, eux, particulièrement « fouillés »... ceci a pour conséquence l'étendue importante de certains paragraphes. L'émotion, voire le suspense, sont au rendez-vous et l'on s'attache fortement au sort de ces deux gamines pleines de vie et d'envies.
Judicieux et pratique est « l’index des personnages » figurant aux premières pages des livres car c'est une galerie de dix familles dont on doit connaître le nom de chaque membre, se terminant par « o » pour les hommes et par « a » pour les femmes, tout au cours de cette saga napolitaine.
L'amie prodigieuse II - : Le nouveau nom. - Le Mirebalais Indépendant
Sans doute sur le sable de la plage à Ischia. En toute logique, avant d'entamer la lecture de ce tome II, il faut avoir lu le premier qui conte l'enfance de Lila et de Lena, s'en tenant ainsi à l...
https://www.mirebalais.net/2021/01/l-amie-prodigieuse-ii-le-nouveau-nom.html
Présentation du tome II de la saga d'Elena Ferrante...