C'est la ville des affrontements, ça l'était lors du siège de 1429 et ça l'est encore aujourd'hui... Histoire & légende – Roman & fiction... et au milieu le fleuve …
Des personnages : des héros ? Des monstres ?...
Deux parties : dedans – dehors...
Dedans : ce qui résonne au dedans venu du dehors... la rage en soi
Dehors : ce qui résonne dehors, venu du dedans.... la rage de vivre
La maltraitance parentale d'une brutalité inouïe va au-delà de l'imaginable, le lecteur en sort meurtri corps et âme... c'en est insupportable pour ne pas dire abjecte. Cette violence aura ses conséquences avec le manque d'affection, le manque de reconnaissance et, en contrepartie, les coups assénés, donnent naissance, de façon précoce, à l'amour pour la chose littéraire.
L'enfance « bousculée » peut trouver un refuge salutaire dans la toute puissance du verbe, et la créativité contenue dans chaque mot métamorphose du réel en abstraction, le mot ne se détachant plus ni de la chose ni de l'être. Cela devient génie de l'écriture...
La férocité des faits rapportés dans la première partie de cette biographie fiction correspond-t-elle à la réalité d'une enfance martyrisée. L'auteur interrogé sur ses « révélations scandaleuses » à l'encontre de ses parents convient qu'ils sont manifestes mais volontairement exagérés...
Ce qui met mal à l'aise, encore plus que les coups et les humiliations répétitives, c'est surtout le manque d'amour. Hors cette cascade de scènes douloureuses et mortifiantes il n'est décrit aucun geste d'affection. Il y a comme un dédoublement de la personne, ici l'enfant qui laisse de côté ce pan de lui-même avili et abîmé par la répression parentale féroce laisse place à l'autre pan s'étant réfugié dans la lecture des grands auteurs, de ceux qui écrivent pour les grandes personnes. L'enfance « sacrifiée » devient adulte en culotte courte... C'est surtout là que se tient le drame dans cette histoire de famille toxique. La mère, décrite dans ces pages est pire que « Folcoche »...
Ce que je pense de cette première partie quant à l’authenticité de ce qui est conté de particulièrement virulent, tient au fait de l’exagération d'une façon d'éduquer stricte (à la dur comme c'était souvent le cas avant guerre) où l'autoritarisme parental relayé par celui des enseignants en milieu scolaire, permettait d'infliger de bonnes corrections physiques et morales aux enfants ayant franchit les limites de la bienséance, fait preuve de sournoiserie éhontée et manqué de respect envers les adultes. Il y a une quarantaine d'année, dans nombre de familles « honorables », la décence, la bonne conduite, le respect de la discipline, s'entretenaient ainsi en distribuant à tours de bras, gifles et fessées à ces petites canailles aux comportements délictueux. J'ai gamin, reçu ma part de ces sévices qui ont rougi ma face et mes fesses mais qui n’avaient rien de rédhibitoire quant à l'affection et l'attention bienveillante qu’avaient mes parents à mon égard. Ceci faisant toute la différence avec la situation qu'évoque à ce sujet l'auteur d'Orléans. Je me souviens dans les années 50, 60, que les gosses les plus turbulents pouvaient être rossés à la cravache (à coups de ceintures) par leurs pères et mères sans que l'on ne crie au scandale. A cette époque, se plaindre à ses parents d'avoir été corrigé par le maître d'école pouvait nous valoir une autre correction à la maison.
S'agissant des maltraitances que Yann Moix nous raconte avoir subies tout au cours de son enfance et adolescence je reste circonspect car la vraisemblance est outrepassée par la description de scènes ignobles comportant des sévices monstrueux, des humiliations concoctées d'ingrédients répugnants, de punitions abusives et d'enfermements plusieurs jours consécutifs dans des lieux insalubres. C'est à en avoir la nausée...
Ces descriptions auront pour conséquences de raviver les plaies dans cet univers familial « déglingué » par le fatras des révélations et des polémiques en résultant ...
Yann Moix écrivain s'est fait connaître en 1996 lorsqu'il a reçu le prix Goncourt du premier roman avec : « Jubilation vers le ciel » s'ensuivant d'autres ouvrages. « Podium » d'abord un roman biographique puis un film qu'il réalise en 2004 lui vaut un certain succès. Il est aussi connu pour ses articles publiés dans les rubriques culturelles de la presse « people » puis a surtout été révélé au grand public par l'émission « On n'est pas couché » animé par Laurent Ruquier, dont, succédant à Aymeric Caron il a été l'un des chroniqueurs attitrés pendant 3 ans auprès de Léa Salamé et Christine Angot.
Dans la deuxième partie de « Orléans » : « Dehors », reprenant les titres de chapitre, identiques à ceux de la première partie « Dedans », correspondant aux étapes, classe après classe, des années de scolarité, les descriptions se font plus flamboyantes, les métaphores toujours plus surprenantes sourdent au fil des paragraphes avec une spontanéité qui mettent nos neurones en vive agitation. La narration de faits singuliers se gorge d'émotions, si bien que celles de l'auteur deviennent nôtres... La frénésie s'empare du temps avant de déborder nos espaces...
Le temps, justement, constitue, jusqu'à nous obnubiler (auteur et lecteur), le fil rouge de cette deuxième partie et ça commence dès les premières lignes :
Page 137 - « Maternelle. - J'imaginais à cette époque que le temps était quelque chose de fixe ; que nous habitions une année ou un mois, comme on habite un pays. Je ne comprenais pas que les adultes eussent pu jadis être des enfants ; ils étaient, selon ma perception d'une temporalité gelée, nés à l'âge auquel je les croisais. »
Pages 174 & 175 - « L'histoire, vue par les romanciers, n'est pas un tapis de dates, déroulé... … : elle est la façon dont le temps transperce les hommes, qui ne sont que le tissu du motif et non la trame ; c'est le temps qui va d'homme en homme, et non l'homme qui va d'époque en époque. … … Nous ne traversons pas le temps, c'est le temps qui nous traverse. »
Page 195 « Pleurer, chanter, penser, écrire, lire, aimer, mais sans bouger, sans faire un pas dans le temps ; empêcher tout futur de pénétrer ; se traîner dans le seul et même instant pour l'éternité, oublié des chronologies, reclus dans un horaire sempiternellement même. Comme il existe des cabanes, des refuges où nous sommes à la fois à l'abri du danger et protégé des regards, on devrait pouvoir opérer des retraites dans le temps : se carapater, non plus dans une vieille ferme, un hameau, un mas, mais dans un instant, un moment, une heure, une journée – alors, plutôt que de vieillir, nous approfondirions. … … on ne vit jamais tout à fait l'instant ; on est ailleurs déjà. Nos journées humaines sont bâclées ; nous les expédions. »
La violence spectaculaire de la première partie, même si elle apparaît à quelques rares passages de cette deuxième partie, a cédé sa place à la poésie, à la philosophie, mais également à la rêverie puis à l'espérance. Les échecs amoureux de l'auteur ne sont que prétextes pour disserter sur les fatuités de l'existence mais aussi une invitation à profiter esthétiquement de ce qui nous environne comme un exutoire qui lave notre mémoire de toutes souillures...
Ne prenant nullement en compte les polémiques enflammées et sulfureuses qui sont apparues immanquablement dès la sortie du livre, et restant volontairement neutre, mon appréciation se limite ici, au contenu de ce roman que j'ai apprécié pour son style d'écriture mais aussi pour sa valeur littéraire, ses images puissantes, prégnantes, ses évocations dérangeantes débouchant sur des réflexions existentielles qui ne laissent pas indifférent...