Les années "40"...
De cette tranche de l’existence de ma mère, je n’ai que quelques souvenirs remontant à ma petite enfance mais avant ma naissance, bien sûr, c’est le black out …
Il semble que c’est pendant l’occupation que ma mère va faire la connaissance de mon père ; ils se fréquenteront puis tomberont amoureux l’un de l’autre… Mon père rappelé en Septembre 39, est démobilisé en Juillet 40. A cette date, étant domicilié à Limoges, il est toujours marié avec sa première femme Marguerite R. et exerce la profession de commerçant VRP.
Ce que je ne sais pas, c’est quand ils se sont connus avec ma mère, sans doute au cours des années 42-43.
J’ai retrouvé quelques lettres que ma mère écrivait à mon père mais elles ne sont pas datées. D’après certains termes de leur contenu, j’en ai déduis que c’est le fait d’avoir des amis communs qui leur a permis de se rencontrer. Dans ces lettres émouvantes, ma mère clame tout son amour pour mon père et souffre qu’il soit encore trop souvent éloigné d’elle car il a toujours son ménage et, de celui-ci, la charge d’une fille adoptive, ma demi sœur donc, de 18 ans mon aînée…
Les événements vont pourtant se précipiter – j’ai comme l’impression que j’y étais pour quelque chose – car ils se marient le 28 février 1944 à la mairie du 17ième arrondissement. à Paris. Sur le livret de famille que j’ai toujours en ma possession depuis le décès de mon père, il est mentionné qu’il y a eu un contrat de mariage rédigé devant notaire, le 23 février 1944. De même, il y est bien fait mention du divorce de mon père avec Marguerite R. Trois semaines, après le mariage de mes parents, je naissais …
A cette époque, ils habitent l’appartement que ma mère possédait, 15 rue Laugier dans le 17ième arrondissement… C’est d’ailleurs là que je suis né …
Quelques temps après, mon père étant recherché par les allemands, mes parents émigrent en Touraine à Pouzay/Vienne exactement …
De cette période dont, bien sûr, je n’ai aucun souvenir, j’ai par contre, retrouvé de nombreuses petites photos prises à cet endroit où j’ai aussi été placé en nourrice jusqu’à la fin de la guerre. Ce doit être qu’en Fin 1945 qu’avec mes parents, nous réintégrons l’appartement rue Laugier.
Ce doit être en 1947 que mes parents vendent l’appartement pour acheter un pavillon à Vanves, en proche banlieue. De ce lieu, je me souviens encore. Nous y avons demeuré jusqu’en Juillet 1951… A cette époque Mon père a monté une petite entreprise spécialisée dans des serrures de sécurité dont il a déposé le brevet sous l’appellation « Barre Hercule » Le siège social de sa société se tenait porte d’Orléans, à « deux pas » du domicile familial. Je crois comprendre que c’est surtout pour moi, encore petit enfant, que mes parents ont changé de résidence. En plus de l’affection qu’ils me portent, j’ai la chance de pouvoir jouer dans un assez grand jardin jouxtant le pavillon… C’est aussi à cette époque que mes parents vont chercher une jeune chienne au chenil de Gennevilliers. Poppie sera ma compagne de jeux jusqu’en été 1959 …
Un billet plein de tendresse - Poppie fait la belle - sur le perron du pavillon à Vanves - dans l'allée du jardin ...
C’est aussi à Vanves que j’ai commencé ma scolarité, à l’école maternelle puis à l’école communale qui se trouvait pas très loin de notre domicile car je me rappelle que l’année où j’ai appris à lire, j’allais tout seul à l’école …
Je me souviens aussi qu’à 5 heures de l’après-midi, au moment où je rentrais, ma mère m’attendait devant la porte de notre maison, rue René Coche… Parfois j’arrivais en larmes et dès que j’apercevais ma mère, de loin, je criais : « Il a encore été puni ! » « il » , c’était moi, bien sûr … Ma mère faisait les gros yeux mais je sentais bien que derrière son air faussement farouche, il y avait autant d’amusement que de tendresse. Nous rentrions, c’était l’heure du goûter, puis des jeux pour moi dans la salle à manger pendant que ma mère à la cuisine préparait le dîner… Avant de passer à table, elle me faisait réviser une ou deux pages de lecture… Vers 19H30 mon père rentrait et nous soupions tous les trois… On veillait à ce que je me tienne bien à table et surtout que je ne gaspille pas mon morceau de pain … Je devais être couché vers 21 heures au plus tard …
J’avais dans mon petit lit un doudou bien sûr et je m’en souviens, c’était la patte oui, la patte de mon nounours en peluche. Un jour, j’avais du faire la comédie car je pleurais à chaudes larmes à cause de la patte qui n’avait pas sa « boupe » … Oui, j’étais inconsolable, il fallait faire une « boupe » à ma patte. Ma mère avait cousu ma patte, lui faisant à une extrémité, les deux yeux puis le nez en fil noir mais, il manquait la « boupe » !… Et ma maman a finalement compris que je voulais dire la bouche, voilà, c’était la bouche qui manquait. Alors, à ma patte, elle avait fait une bouche qui souriait et mes larmes ont fait place aux rires …
Mes parents adoraient chanter et c’est souvent qu’ils chantaient. En voiture, les voyages se faisaient en chansons, on n’avait pas besoin d’autoradios à cette époque… Ils dansaient aussi, cela arrivait certains soirs, il mettait en route un vieux phonographe qui distillait une musique nasillarde et ils valsaient. J’aimais quand ma mère portait sa jolie jupe de bal en soie avec des motifs à petits losanges vert, rouge et blanc sur fond noir … Elle était si belle ma maman avec sa "zupe tounnante" !...
Ma mère adorait jouer au tenis - Avec mes parents et la Tata de Dol - Mon père a transmis à ma mère le virus der la pêche - En vacances Eté 1950.
Je me souviens aussi du sous-sol du pavillon dans lequel était entreposé, dans le petit atelier où bricolait mon père, notre garde-manger. Un soir, ma mère, en allant chercher quelques victuailles avait poussé un hurlement ; mon père s’était précipité pour découvrir qu’une belette s’était introduite dans l'atelier. Elle pointait son museau entre les objets hétéroclites qui garnissaient les étagères, au dessus de l’établi.
Toujours dans ce sous-sol, je me rappelle de l’inondation due, au chauffe-eau qui, s’étant descellé du mur, s’était éventré à terre. Plus de 200 litres d’eau s’étaient répandus sur le sol… C’était un après-midi, mon père était absent mais nous avions la grande amie de ma mère, la Tata de Dol, qui se trouvait à la maison. Il y avait eu un grand bruit. En allant voir au sous-sol, d’où le bruit provenait, elles avaient découvert le sinistre… aussitôt, ma mère s’est précipitée au café voisin pour téléphoner à mon père, l’avisant de la catastrophe. Puis, de retour à la maison avec la Tata de Dol qui s’appelait aussi Suzanne, ayant coupé l’arrivée d’eau, elles ont pris seaux et serpillères pour commencer à écoper… Bien sûr, j’avais interdiction de venir traîner mes petits pieds dans l’endroit et devais les voir évoluer depuis le jardin où elles venaient, en alternance, vider l’eau de leur seau. Quand mon père arriva, elles avaient déjà évacué une bonne quantité d’eau. Cela se termina tard et ils devaient encore y être après m’avoir couché …
Quand on traversait ce sous sol, à l’opposé du jardin, il y avait une cour et je me souviens que mes parents jouaient au tennis (pelote), se servant du haut mur nu à l’arrière du pavillon, comme fronton. Ma mère était très vive et adroite à ce sport et elle faisait bien courir mon père !…
Il y a encore cette anecdote, plutôt croustillante, qui me revient à la mémoire : Cela se passait au café « Chez Paulo », ce petit bar de quartier tout près des voies ferrées, où ma mère était allé téléphoner et où mes parents, chaque fin de semaine, venaient taper la belote en prenant l’apéro entre voisins. Ce soir là, nous nous trouvions, toute la famille au café et notre chienne Poppie était elle aussi, de sortie… Or, voilà que tout à coup, je l’aperçus, poursuivie par un petit ratier, un noiraud comme elle, et qui ne la lâchait pas…. Pire, il lui grimpait dessus en s’agitant… Je me mis à crier aussitôt, pensant que ce corniaud, était entrain de faire du mal à notre chienne… je hurlais si fort que tous les regards se sont tournés de notre côté et je tirais sur les bras de mes parents pour qu’ils interviennent mais eux, s’étend rendu compte de ce qu’il se produisait, avait pris le parti d’attendre que cela se passe... Alors, toujours en criant, j’ai réclamé des ciseaux pour qu'on les sépare et là, toute l’assemblée présente, est partie d’un immense éclat de rire. Moi je ne riais pas, j’étais furieux et, de dépit à cause de tous ces adultes stupides, je me mis à pleurer à chaudes larmes… Alors, ma mère m’a pris dans ses bras pour me consoler. Elle me rassura en me disant qu’il n’y avait rien de grave à craindre pour notre chienne … Et nous sommes bien rentrés ce soir là tous les quatre à la maison, mes parents, moi et notre fringante Poppie …
Je me souviens également, de ma première séance au cinéma, je devais avoir tout juste 6 ans. Toujours à Vanves, ma mère m’avait emmené à une séance, en matinée pour voir « Les Misérables », je ne sais quelle version exactement mais c’était un film d’avant guerre en noir et blanc et sonorisé, sans doute était-ce le film de Raymond Bernard avec Harry Baur, Charles Vanel, Orane Demasis. Par contre, je n’ai pas tenu longtemps en place tellement j’étais effrayé par les personnages, si bien que ma mère a du sortir avec moi peu après le début de la projection et il n’était pas question d’y retourner… Je pense que j’avais du lui faire de la peine mais elle n’a pas insisté et nous sommes rentrés chez nous…
Nous arrivons aux années « 50 » et à cette pénible affaire où mon père, accusé à tort du vol de 200 000 F. par la femme de son associé (C’était aussi des amis de mes parents) est arrêté et maintenu en garde à vue plusieurs jours jusqu’à ce que l’on découvre cette importante somme d’argent en espèce, planquée sous la banquette arrière de la voiture de notre associé. Une lamentable accusation consécutive à de sombres histoires où rivalités et jalousies constituaient certainement le mobil. Je me rappelle encore de ces deux inspecteurs de police venus perquisitionner et qui avaient mis tout sans dessus-dessous chez nous, de ma mère horrifiée et qui pleurait souvent malgré la présence de la Tata de Dol, laquelle était restée avec nous, jusqu’au retour de mon père, quelques jours plus tard… Mon père constata qu’après le passage des policiers son appareil photo « Leica » auquel il tenait particulièrement avait disparu… (détail qui a son importance pour la suite, car il n’en rachètera pas avant plusieurs années, ce qui fait que dans l’album familial, il n’y a aucune photos des années 50 à 54 …) Quelques mois passèrent, mes parents me confièrent à la Tata Suzanne, l’amie de ma mère qui m’emmena à Dol de Bretagne pendant deux mois de l’Été 1950. Ainsi ai-je découvert la mer pour la première fois…
Pendant ce temps mon père avait entamé la liquidation de son affaire, avec ma mère, ils avaient mis en vente le pavillon de Vanves et prospectaient sur l’ensemble du territoire, à la recherche d’une entreprise ou d’un commerce à reprendre …
Une grande page de la vie de ma mère allait se tourner … Elle, Parisienne depuis presque 40 ans, dans les mois qui suivirent, allait se retrouver en lointaine province …