Je vais maintenant,vous conter l'aventure de deux garnements qui, au cours de l'Eté 1955, habitaient le haut quartier de la Madeleine à Mirebeau… il s’agit de Dédé qui était le fils du maire de cette époque et moi, Farfadet, gamin de 11 ans, en culottes courtes… Dédé, lui, c’était un grand « diable » de 13 ans …
Il faut dire que dans le haut quartier de la Madeleine, nous étions une sacrée bande de gamins qui lorsque nous nous retrouvions ensemble, rivalisait d’ingéniosité pour effectuer mille et mille bêtises ce qui faisait s’esclaffer les anciens du coin, découvrant nos forfaits : « Saprés drôles ! »
Ce jour là, nous jouions aux petites autos sur le trottoir… Dédé passant par là en bicyclette s’arrêta à notre hauteur :
- Hé les gars, J’ai trouvé un filon pour s’acheter des nouvelles Dinky-Toys !
- Hein ! des Dinky ! Des vraies ! mais elles sont chères où veux-tu qu’on trouve les sous ?...
- De la ferraille, y a qu’à vendre de la ferraille et des vieux papiers ; chez « Pottanet »*, ils prennent toutes les vieilleries, les vieux journaux, les cartons et je sais où trouver tout ça …
- Ah ouais !
- Si je vous le dis … Alors qui me suit ? …
Dans la petite bande que nous étions à pousser nos autos en fer blanc dans la poussière, on se dévisagea, les uns les autres, quelque peu embarrassés. Finalement, nous ne fûmes que deux à nous décider pour suivre le grand Dédé … Gégé, le fils cadet du boulanger et moi, trop heureux d’avoir la possibilité de m’acheter la Vedette grise à coffre modèle « 54 » qui est la nouveauté «Dinky-Toys» de l’année .. Malgré tout, je demeurais quelque peu inquiet, s’agissant des opérations à suivre …
- Oui mais Dédé on va où ?... C’est pas trop loin, parce que les parents …
- T’occupes, réponds le Dédé sûr de lui, ça va être une simple balade... et c’est dans le quartier de la gare. On va d’abord passer prendre une brouette chez moi…
Dédé habitait un peu plus haut sur le boulevard Voltaire, on le suivit allègrement. Son père et les frères aînés de Dédé, tenaient une affaire de grossiste en boissons gazeuses, de limonadier, disait-on à l’époque, ils faisaient aussi l’approvisionnement en charbon… Dans la cour, nous trouvions une grande brouette à fond en lattes et sans ridelles. On s’en saisit vite fait, malgré les récriminations du grand frère, Coco…
- Eh ! Qu’allez-vous encore faire, avec ça bande de galopins !
- T’occupes, on te la ramène d’ici quelques minutes, juste le temps de faire un tour …
- Dédé reviens ici ! Dédé ! …
A : Quartier haut de la Madeleine B : Dépot Feraille "Dutuilleau" C : Chez "Pottanet" D : Monsieur "P." prêteur de la charrette à bras...
Nous avions déjà franchi le portail en courant et dévalions le boulevard en direction de la gare, à quelques cinq cent mètres de là… La roue cerclée de fer de la brouette crissait sur la chaussée et les appels de Coco ne nous parvenaient déjà plus … Saprès drôles !
Nous arrivions dans le bas la localité, franchissions le passage à niveau et allions dans un grand terrain vague, face à la gare de l’autre côté des voies. Là, il y avait une quantité innombrables d’objets hétéroclites amoncelés sur des tas, regroupant, ferrailles, bois et cartons, ainsi que des carcasses rouillées de tacots d’avant guerre… Une véritable mine que nous allions exploiter. On écarquillait les yeux, le sourire aux lèvres, nous réjouissant d’avance de ce que ce trésor constitué de tant de vieilleries, allait pouvoir nous rapporter comme sous… C’était pas une petite «Dinky» qu’on allait se payer mais 10, 15 peut-être même 100, avec toute cette ferraille !…
On va commencer par le carton, commanda Dédé. On ne mit pas trop de temps à charger la brouette avec une montagne de cartons que Gégé et moi, marchant de chaque coté de la brouette, devions maintenir… Dédé lui, s’était mis aux brancards…
- Et maintenant, où va-t-on emmener ces cartons Dédé ?
- Bah tiens, on va les vendre chez le père Pottanet, c’te blague ! …
- Eh c’est où chez le père Pottanet ?
- Ben, en ville, vers l’église Saint André…
- Va falloir monter tout ça la haut ?
- C’est sûr qu’on va pas le descendre ! Allez poussez avec moi, les drôles !...
Mirebeau, bah oui, c’est sur une colline alors c’est, soit tu montes, soit tu descends … ça dépend où tu te trouves et où tu veux aller …
En l’occurrence là, nous étions en pied de ville, ne restait plus qu’à prendre la côte… hardi petits !
Plusieurs fois nous nous sommes arrêtés pour souffler puis changer de bras pour se mettre aux brancards. Ce grand diable de Dédé n’était pas mauvais cheval et ne ménageait pas ses efforts. Quand c’était notre tour de pousser il chantait son refrain préféré qu’il nous demandait de reprendre phrase par phrase … J’en ai le souvenir indélébile … ça donnait ceci* :
Chœur des Mômes :
J’ai mal au cul…
J’ai mal au cul …
Paie ma jeunesse…
Paie ma jeunesse…
J’ai trop pété…
J’ai trop pété…
Dans les salons…
Dans les salons…
J’y ai mis tant d’allégresse…
J’y ai mis tant d’allégresse…
Que j’ai troué tous mes caleçons !…
Que j’ai troué tous mes caleçons !...
Saprès drôles !… Abordant les rues du Centre, on se fit moins tonitruant, ne voulant pas se faire trop remarquer … Tu parles !…
Parvenu devant le porche du père Pottanet… on sonne … Une femme forte, fichu sur la tête et la jupaille protégée par un grand tablier à carreaux maculé de sang et de graisse, vient nous ouvrir… ce devait être Mme Pottanet… fronçant les sourcils :
- Qu’est-ce que vous vl’ez les drôles ?
- Ben c’est du carton qu’on a à vous proposer M’dame, répondit le grand Dédé
- Eh d’où qu’il vient ce carton, reprit-elle, sceptique…
- Ben d’chez mon père, M’dame Pottanet
- D’chez ton père !... y reçoit sa limonade par cartons maintenant, j’croyais qu’il utilisait des casiers à bouteilles, moi !…
- … Voui … mais c’est des restes d’emballages quand Coco a déménagé et puis …
Ca commençait à sentir le roussi, la mère Pottanet, flairait quelque embrouille, pourtant elle nous fit entrer et accepta de prendre notre carton qui, tout bien pesé sur sa vieille bascule à contrepoids, ne nous rapporta que quelques piécettes, à peine de quoi s’acheter chacun deux «Carambar» …
Nous ne nous découragions pas et fîmes plusieurs tours avec cartons et papiers … En fin de d’après-midi nous avions ramassé 125 F de l’époque ce qui ne nous permettait pas d’acheter la moindre "Dinky" ; le premier prix affiché dans la vitrine du magasin de la Mère S., étant celui de la petite 2CV miniature, fixé à 165 F … Voilà qui marquait notre déception …
On continuera demain, s’enhardit notre grand Dédé… Cette fois, on va y aller avec de la ferraille !… ça va mieux payer, croyez le bien les copains !...
Le lendemain dès 10 heures du matin, Dédé vint nous rejoindre mais, cette fois, j’étais le seul à vouloir le suivre … Gégé prétexta que sa mère n’avait pas apprécié qu’il revienne tout poussiéreux et en nage, la veille, Il était condamné à rester dans le quartier … moi, je pensais plutôt que les efforts à fournir n’était pas à sa convenance pour le prix qu’on en obtenait … Qu’importe, j’étais partant pour une nouvelle expédition …
- On va chercher la brouette ? demandais-je à Dédé, pressé d’aller au turbin …
- Ben, c'est-à-dire que l’Coco, hier y m’a passé une sacrée dérouillée quand je suis rentré et y veut plus que je reprenne la brouette …
- Bah alors, comment on va faire pour transporter la ferraille ?
- Le père P. va peut-être nous prêter sa charrette à bras … allons lui demander …
Le père P. en question est le peintre en bâtiment qui habite rue Jourdain … une chance il est chez lui …
- Ma Charrette, tchi qu’vous v’lez faire avec ma charrette ?
- C’est pour transporter des vieilles bricoles dont mon père veut se débarrasser pour aller les revendre chez Pottanet et j’peux même garder les sous qu’il a dit le père !…
- Ah ouais ! J’sais pas si faut vous «craire», saprès drôles, mais bon, j’vous prête la charrette jusqu’à c’soèr . Y m’la r’mettrez sans faute hein ! Sans ça j’va trouver M’ sieur l’Maare … hein le Dédé !…
- Voui M’sieur P. on vous la rapporte, aussitôt fini notre chambardement …
Et nous voilà reparti avec cette fichue charrette, le Dédé attelé dans les brancards et moi qui cours derrière… direction la gare …
Parvenu sur cet immense dépotoir, on commence l’inspection des tas et optons aussitôt pour une série de vieilles barres de fer, de vieux roulements à billes et autres vieux tuyaux en tôle et de moins gros, en plomb, pour en charger la charrette … Un peu trop… car, pour la bouger, ça devient corsé… A notre grand regret, nous devons enlever l’excédent, pour rouler tout cela jusque chez Pottanet…
Sur le plat ça va, mais dans la montée, on en bave un sacré coup, Dédé à tirer et moi à pousser ; le boulevard Voltaire* nous semble interminable … on s’arrête plusieurs fois, manquant même de virer notre chargement … Je commence à geindre, ce qui agace Dédé lequel me crie dessus puis se ravise :
- Allez Pousse le p’tit Lulu si tu veux ta Dinky …
- Hé j’en peux plus moi !… pleurniche-je
- Mais qu’est-ce que t’as dans les jarrets ma parole, c’est du sang de navet !
- Ben, j’ai pas ta force moi, toi, t’es plus vieux et plus costaud …
- Bon, allez ! On reprend la marche, chante avec moi … ça te donnera du courage :
- J’ai mal au cul … Paie ma Jeunesse … J’ai trop pété …
Et c’est reparti comme en «14»… Cette fois nous sommes reçu par le père Pottanet… plus bourru y a pas !…
- Z’allez faire combien d’tournées comme ça vous deux ?...
- Oh ben, c’est qu’y en a encore d’autres, c’est pas fini… m’enhardis-je à répondre…
- Mouais, j’vois bien que vous avez trouvé un bon moyen d’vous faire des sous, saprès chenapans ! Bon, donnez-moi vot’ camelote que je pèse ça … et puis y a du plomb aussi, et même des vieux robinets en cuivre… ben dites donc, d’où qu’ça sort tout ça ? s’exclame le père Pottanet quelque peu intrigué …
- Oh ben, c’est chez mon père, y en a plein la remise de ces vieux machins, il m’a permis d’en faire ce que je veux, rétorque aussitôt le grand Dédé, avec l’assurance d’un auquel on aurait donné le Bon Dieu sans confession…
La course nous valut quelques dizaines de Francs supplémentaires. Avec les deux tours suivants, on avait pour chacun de quoi acheter une belle « Dinky » … Mais Dédé voulait bien plus… encore un dernier tour à effectuer, en ramenant une belle pièce en fonte, et on allait se payer de l’extra Dinky, m’assura-t-il en riant …
Cette fois, il avait vu gros le Dédé, en repérant un vieux poêle en fonte que nous avons eu toute les peines du monde à hisser sur la carriole basculée «à cul» et qu’il a fallu relever pour partir… saprés drôles !… La remontée sur le boulevard Voltaire nous fit grincher, hurler et même me tira les larmes des yeux à pousser cette maudite charrette qui aurait pu aussi nous écraser. La perspective de nous payer de superbes "Dinky" valait cette débauche d’efforts !… Comme ça, cahin, caha, on parvint rue Jourdain. Justement le père P., débarquait des pots de peintures de sa « Juva Quatre » camionnette. Il nous interpella :
- Eh les drôles, z’êtes pas fous des foès ! Où qu’vous z’avez récupéré c’te vieux poêle à bois ?
- Ben chez mon père, répondit effrontément le Dédé…
- Chez ton père ! Tu te paierais point ma tête, dis Dédé !...
- Non M’sieur P., j’vous l’dis franco, ça vient de notre remise… poursuivit Dédé, avec une étonnante assurance.
- D’vot remise, tu t’fous ben de moè … j’vais t’le dire, moè d’où qu'ça vient, toutes ces cochonneries que tu véhicules depuis deux jours déjà … Elles viennent du terrain au père Dutuilleau* et c’est sa ferraille que vous allez revendre ainsi à Pottanet… on vous a vu traîner plusieurs fois dans l’coin, près d’la gare, et avec ma charrette en plus ! Sapré garnements ! Z’allez r’descendre toute suite c’te chargement et le rdéposer là où qu’vous l’avez pris, sinon je préviens, non seulement ton père, Dédé, mais les gendarmes aussi !... Et puis, vous me ramenez la carriole illico, j’ai qu’ça à vous dire ; allez raouste ! Exécution saprès bon dieu d’drôles !...
Nous n’insistâmes pas… je venais de découvrir que le Dédé nous avait bien promené au propre comme au figuré et que, la «mine d’or ... dure» qui nous avait enrichi depuis la veille, était la propriété d’un ferrailleur auquel on piquait sa marchandise, pour la revendre à son concurrent … Comme recel on ne fait pas mieux …
Nous déposions le poêle où nous l’avions trouvé puis rapportions sa charrette au père P … qui ne nous fit aucun commentaire.
Ce soir là, en rentrant à la maison ma mère, me gronda vivement en constatant que j’étais dans un état lamentable.
- Mais où es-tu allé te fourrer pour être aussi sale, regardes dans quelle état tu as mis ta chemise et ces mains… mais qu’est que c’est... de la rouille, ma parole ! …
- C’est chez Dédé, Maman, on a aidé son frère à faire du rangement dans leur remise…
Joli mensonge mon Lulu, tu devrais avoir honte !
Les américaines avec au premier plan la fameuse Chrysler - La Ford Vedette 54 - Une Juvaquatre break comme celle du peintre le père P, et la 203....
Épilogue : Deux jours plus tard, rien n’avait été ébruité de notre forfait, le père P. avait tenu sa langue et nos parents n’ont rien su de l’affaire …
Nous présentant au Bazar de Madame S., Rue Maurice Aguillon, nous avions la joie de nous choisir chacun une Dinky … Dédé se paya une magnifique Chrysler "New Yorker" décapotable, à la rutilante couleur rouge, contre 235 F. et moi, avec 185 F. qu’il me concéda je n’ai, hélas pu m’acheter la belle Vedette que je convoitais, mais j’ai quand même acquis une magnifique 203 Peugeot bleue à pneus blancs … avec ça, comme on dit, le roi n’était pas mon cousin ! … Par contre, on n’a jamais su si le père Dutuilleau s’était aperçu que sur son terrain quelques vieilleries rouillées avaient disparu …
Le petit "Lulu" ( Farfadet à 11 ans ) - le premier, à genoux, à partir de la gauche, au 1er rang... "Dédé" est aussi sur la photo ... - Année Scolaire 55-56 Classe De M. C. : CM2 et "Fin d'Etudes"
Notes :
* version corrigée de la fameuse chanson :
J’ai mal occupé ma jeunesse,
J’ai trop été dans les salons.
J’y ai appris toutes les finesses,
Pour devenir charmant garçon !…
* En 1955, le boulevard Voltaire axé sur la D 725, n’était pas encombré par la circulation qu’on lui connaît aujourd’hui … A cette époque il devait passer de un à trois véhicules par heure …
* Pottanet et Dutuilleau sont des patronymes imaginaires se substituant aux noms véritables des deux ferrailleurs concurrents exerçant sur la localité à cette époque. En vérité, nous avions bel et bien piqué de la ferraille au second pour la revendre au premier de ces deux personnages ainsi nommés…
Saprès drôles !…