L'incorporation à mon régiment quartier Fayolle, à Angoulême était fixé au Lundi 2 Juillet 1962, J'avais donc 2 jours devant moi pour profiter de ma liberté, faire le jeune homme et visiter la ville...
Ce samedi 30 juin, il faisait très beau et chaud. Le car de la STAO me déposa à la gare de Poitiers. Il était 10H du matin et le prochain train pour Angoulême était annoncé à 12H20, j'avais donc le temps d'aller en centre ville et de faire quelques achats à la Civette, place d'Armes.
Mes parents m'avaient remis 2 billets de 100 F. Nous étions au début de l’ère des Nouveaux Francs, cela correspondait à deux billets de 10000 Francs d'avant 1960 ; j'avais donc à disposition une jolie somme comme argent de poche, représentant approximativement le tiers d'un salaire conventionnel d'un ouvrier spécialisé de cette époque. Étant fumeur je m'achetais 3 paquets de « Gauloises » et me suis laissé tenter par l'achat d'un briquet « Ronson Varaflamme », le top du genre qui, depuis longtemps, me faisait envie. Voilà qui entama d'un peu moins de la moitié un de mes billets de 100 Francs... mais quel pied que de s'installer en terrasse de café, commander sa pression puis négligemment se mettre une cigarette au bec et, d'un geste désinvolte, l'allumer avec la flamme bleuté de son Ronson à gaz… la classe !
La classe justement, elle demeure tout à fait d'actualité car, à peine descendu sur le quai de la gare d’Angoulême, en ce milieu d'après-midi là, nous étions « cueillis » par les militaires de la garnison qui interceptaient les nouvelles recrues à chaque arrivée de train. Il faut dire que beaucoup de jeunes, nous étions facilement repérables avec nos coupes de cheveux fraîches et nos valises en main...
- « Eh toi, viens là ! T'es incorporable hein ! C'est pour quelle caserne ?
- Euh... bien Fayolle, dans l'intendance...
- C'est bien gus, allez hop ! Va au camion là !…
- !!! Mais c'est à la date du 2, après-demain seulement. Le militaire, un gradé à « sardines » qui vient de m'interpeller fronce les sourcils puis l'air goguenard , me rétorque :
- T'auras bien le temps de déambuler dans les rues de la ville, d'ici que t'aies la quille ; Allez ! Monte avec les autres, la bleusaille ! »
- Tu parles d'une déconvenue à peine arrivés, nous sommes aussitôt embarqués, nous retrouvant alors, une vingtaine de jeunes hommes assis sur les bancs d'un U55 bâché kaki. Chacun silencieux, regarde défiler les boulevards et les rues avant de franchir le portail central de la caserne. Bien court fut ce temps de liberté avant d'entamer notre vie de bidasse.
Ayant sauté du camion, nous fumes immédiatement pris en charge par un sergent chef qui visionna les ordres d'affectation de chacun. Nous fumes répartis en deux groupes les uns, dont je faisais partie, vers le bâtiment central, de la Première Compagnie, les autres, vers celui de la Deuxième Compagnie, en vis à vis de celui de la Troisième Compagnie, sis à droite, en entrant dans la cour de la caserne. Sans plus d'explications, on nous conduisit à notre chambrée, au troisième étage ; là, nous devions choisir notre place de lit double superposé et une armoire métallique pour y ranger nos affaires personnelles. Ordre fut donné de faire notre lit avec les draps et les couvertures pliés au pied. Fait au carré, le lit , bien sûr !
D'autres nouvelles recrues nous rejoignirent une heure plus tard. À 18H30, on nous conduisit au réfectoire de la compagnie. Je ne me souviens plus quel espèce de rata nous fut servie ce soir là, mais les langues se délièrent et nous fîmes connaissance entre gars du même contingent... exclamations et rires fusèrent... du style :
« Oh enculé ! ça promet les gradés, ici, z'ont l'air de vrais chiens de quartiers on va en baver c'est sûr ! » ou bien « Eh les gars, le pinard, c'est de la vraie piquette et croyez bien qu'y z'ont pas mégoté avec le bromure hey ! » - Réplique d'un joyeux drille : « De toute façon on ne va pas voir des filles de sitôt, y paraît que le premier mois on est consigné à la caserne et que la première « perm » ce sera pas avant trois mois » - puis, un autre comique de commenter : « Ouais, ben comme, ça, on n'attrapera pas des morpions ni la chaude pisse au moins... Ah !Ah ! Ah ! ».
Après le repas on nous autorisa d'aller faire un tour au foyer avec la consigne d'être de retour à notre chambrée avant 20H...
Tous se ruèrent dans la salle du foyer où un juke-box laissait s'échapper les claironnantes guitares électriques sur « Apache » des Shadows. Nous étant pourvu chacun d'une canette de bière, on s'installa une dizaine de bleus autour d'une table ronde. Échange de cigarettes, on fait connaissance...
- T'es d'où toi, la grande bringue ?
- La grande bringue c'est Jean-Louis et je viens de Toulouse.
- Oh putingh ! Y z'auraient pas pu t'incorporer là-bas !
- Ouais mais c'est moi qu'ai choisi l'intendance, c'était soit Montbéliard, soit Angoulême . Ici, j'suis quand même plus près de chez moi que dans l'Est à l'autre bout du pays...
- T'as choisi toi... pas nous... comment ça se fait ?
- Bah ! J'me suis engagé...
- Ah putingh ! Un engagé mais t'es le vrai fayot toi, s'esclaffa le petit nerveux qui conversait avec le prénommé Jean-Louis...
- Les engagés y sont là pour en chier, ajouta un costaud rougeaud, entre deux goulées de bière.
- Et pourquoi eux plus que d'autres ? Moi aussi je suis engagé rétorquais-je. C'est par devancement d'appel. Je suis un EVDA (Engagé Volontaire par Devancement d'Appel)
- Ah toi aussi le jeunot t'es un putain de fayot et t'en a pris pour combien dis ?
- Deux ans, vingt-quatre mois si tu préfères, c'était la condition stipulée par le contrat en devançant l'appel.
- T'as quel âge gamin ?
- 18 ans et demi
- Et ben gus, t'es parti pour en baver un bon bout de temps et puis tu vas faire du rab, c'est sûr, la durée du service est retombée à 18 mois...
La conversation se poursuivit sur d'autres sujets plus légers. Je notais que les engagés n'étaient pas les bien vus par les appelés ordinaires. Considérés comme fayots aimant l'armée, on préférait les ignorer. Toutefois il y en avait pas mal dans notre section et vite nous fîmes corps contre les bidasses lambda qui, déjà, pensaient à la quille... Cette apparente discrimination s'estompa et quelques semaines plus tard, n’avaient plus prises dans nos échanges, tous se sentant solidaires pendant ce temps des classes où effectivement on en chiait, tous ensemble, à crapahuter du lever du jour, jusqu'au soir, 17H30....
Le surlendemain de notre arrivée, aussitôt après le petit déjeuner, on a tous droit à la séance coiffeur, pour ressortir des lieux avec la « coupe "Cii", entièrement réalisée à la tondeuse électrique… c'est, le crâne rasé, qu'on nous présente alors à un nouveau conseil de révision, pour effectuer un bilan santé complet devant le médecin militaire de la garnison. Tous "à poil", en rang, c'est l'ultime visite pour valider notre état de « bon pour le service armée ». C'est un moment à la fois joyeux et stressant car, malgré les réticences antimilitaristes des grandes gueules, rares sont ceux qui voudraient être réformés, et se retrouver exclus de ce service obligatoire, contraignant par le temps à passer sous les drapeaux et par les efforts physiques à fournir chaque jour, service néanmoins porte flambeau de la virilité et probité mâle auxquelles tous, ici, tiennent. Et là, attendant notre tour pour passer devant le capitaine toubib, en dépit des différences de morphologies, de gabarits, de tailles, des uns et des autres, tous, en tenue d’Adam, nous sommes égaux... déjà par la nudité qui rend humble et nous ramène chacun à la source de notre existence.
Cette formalité accomplie on nous conduit dans un grand hall servant de magasin d'équipements militaires où des sous-officiers, caporaux et sergents fourriers, nous distribuent notre paquetage : vêtements, sous-vêtements militaires, chemises, pulls kakis, tenue d’Été, tenue d'Hiver avec l'incontournable capote, puis les ceinturons, les guêtres, les brodequins à clous, les treillis, 2 bérets avec l'insigne de l'intendance - la grenade éclatée entre les feuilles d'acanthe -, le casque léger et le casque lourd. Malgré les mensurations prises et autres références personnelles données, on constatera à l'habillage, que quelques de ces habits et accessoires, ne correspondent pas à notre taille ou à notre morphologie. Ce ne sera alors pas une mince affaire que d'aller réclamer pour effectuer le changement de ces effets vestimentaires inappropriés auprès des fourriers tatillons...
De retour à nos chambrées, il convient de ranger une partie de ce fourbi dans nos armoires puis de revêtir le treillis, les guêtres et les brodequins pour aller, coiffé du béret militaire, au premier rassemblement de troupes. D'abord face à notre chef de section, un adjudant plutôt « pète-sec » secondé par celui qui sera notre instructeur attitré, un sergent chef à l'air plus avenant et décontracté ; ils inspectent, dans le moindre détail, notre accoutrement. Les premières remarques abruptes sur notre tenue et présentation pleuvent... il faut vite ajuster, rectifier, en répondant le « Oui chef » de rigueur. Une fois tous, enfin bien attifés, c'est face au commandant de compagnie, le lieutenant B. que nous sommes présentés.
Première mesure protocolaire. Cet officier, un vétéran dans la quarantaine au physique de grand sportif, à la moustache soigneusement taillée, passe devant chaque recrue qu'il toise droit dans les yeux, devant alors soutenir son regard pour se présenter en aboyant presque : « Soldat de 2ème classe Tartempion. Première Compagnie du CII N°2 de l'intendance - à vos ordres mon lieutenant ! ».
Le temps des classes vient de commencer...
La section CS1 - contingent 62-2A - quelques jours après l'incorporation - Je suis le premier, en partant de la gauche accroupi - 1er rang au bas de la photo.
La suite en lien ci-dessous :
Crapahut, instruction et vie de caserne... - Le Mirebalais Indépendant
Le service militaire , ce n'est pas une mince affaire... quand il s'agit de marcher au pas c'est comme mener un rude combat, faire un avec la troupe au pas cadencé et sans cesse recommencer pour ...
http://www.mirebalais.net/2018/02/crapahut-instruction-et-vie-de-caserne.html