Réédition d'un article initialement publié le 20/01/2016 à 15:20.
Besoin d'évasion ?... Faisons donc un retour dans le temps à ce début des années 50 où l’automobile - aujourd'hui décriée tellement elle est en nombre incalculable et source de pollution tous azimuts - allait se démocratiser et devenir accessible à de plus en plus de familles, de plus en plus nombreuses...
Et avec une telle appellation un petit air de Printemps...
S'il peut paraître excessif de faire de la Prairie l'ancêtre du monospace apparu 35 ans plus tard et connu sous le nom « Espace », il n'est pas incongru de la comparer au Kangoo étant lui aussi une voiture à la fois familiale et pratique, se déclinant en plusieurs versions d'utilitaires, présentant, en outre, du point de vue du style, un profil similaire...
Il en est certains qui pensent avoir tout inventé et qui, par leurs créations introduites opportunément, pensent être innovants... in au vent... ou in au van...
Eh bien à ceux là je dis : ne manquez jamais de faire un petit retour en arrière dans le temps et allez donc visiter l'histoire, vous constaterez alors qu'il y a souvent eu un ou des précédents à ce qui aujourd'hui, bien dans l'air du temps, connaît un franc succès.
Bon, soyons nuancé avec une telle appréciation et, revenant à mes attraits pour la chose automobile, s'agissant du Kangoo, véhicule de la marque Renault à vocation à la fois utilitaire et familiale, désigné aujourd'hui comme ludospace, le genre, comme le modèle, sont assez répandus et correspondent à un succès commercial répondant à un engouement manifeste pour une façon de voyager et se déplacer où l’utile, en permanence, doit se joindre à l'agréable.
Il n'empêche, cette idée, cette conception n'est ni nouvelle ni récente car, revenant 70 ans en arrière, Renault avait déjà conçu et produit un véhicule similaire, cela s'appelait « Prairie » joli nom pour une auto qui fleure bon la campagne …
La conception d'une large gamme de carrosseries devant habiller un même châssis, constitue l'élément le plus original de ce programme réclamé par le service commercial de la marque au losange. Autour du break à vocation familiale initialement envisagé, qui devient la Prairie, on installe, sur le même châssis, un break colonial, un taxi, une fourgonnette, un pick-up et un châssis-cabine.
Nous sommes en 1950
Alors que la 100 000ème 4CV est tirée à une loterie gratuite entre les 45700 ouvriers et employés de la Régie, en Mai de cette année là, sortent des usines de Billancourt les premières Renault Colorale (appellation concentrant l'association des termes COLOniale et ruRALE)...
De quoi s'agit-il ?
5 années après la fin de la guerre, le plan Pons, ayant sévi dans la répartition des genres de véhicules à produire entre les constructeurs, limitant leurs projets en les confinant dans un à deux types de modèle, à l'aube des années « 50 », les effets pervers d'une telle politique se font moins sentir et les grandes marques s'en affranchissent, y compris la Régie Renault désireuse de répondre aux besoins d'une clientèle de plus en plus pressée de posséder une voiture fonctionnelle et spacieuse pouvant rendre de multiples services en associant le l'utile à l'agréable. Les premiers exemplaires de la célèbre 4CV, étant en passe de sortir des usines de Billancourt, c'est dans cet esprit que le bureau d'études de la RNUR, dès 1946, a planché sur la réalisation d'un véhicule à vocation à la fois utilitaire et familial.
Pierre Lefaucheux, alors grand patron de Renault, observe l'évolution du marché tant en ville qu'en campagne, où commerçants, artisans, paysans, devant répondre à des besoins de consommation allant en s'accroissant de façon exponentielle, dès 1947, donne son accord pour faire aboutir le projet d'une gamme de véhicule du type R2090 et R2091 (gros break) déclinable en plusieurs versions pour être utilisables en métropole mais aussi dans les colonies que la France possède en Afrique et dans tous ses territoires d'outre-mer.
Moteur « 85 » de la Primaquatre d'avant guerre - 4 Cylindres totalisant 2383 cm3 (85 x 105 mm) développant 46 Ch à 3400 tr/mn. pour 14 CV fiscaux. Aussi haute que large la « Prairie » mesure 437 cm de long, fait une largeur hors tout de 182 cm et est haute de 182 cm. L’empattement est de 266 cm. Son poids avoisine les 1700 kg Sa consommation, suivant les circonstances d'utilisation, se situe entre 13 à 18 litres d'essence aux 100 kilomètres
Devant répondre aussi à des soucis d'économie au niveau de la réalisation, ne devant, non plus, se disperser dans la profusion de modèles, et de rationalisation de l'outil de production, le cahier des charges impose de ne pas s'encombrer de raffinements superflus. Dans ces conditions, on limite les solutions techniques trop contraignantes et coûteuses à réaliser telles que la mise au point dun moteur culbuté, ou l'adoption de roues avant indépendantes. Renault prend exemple sur le modèle américain qui écarte toute sophistication sur des véhicules destinés à emprunter toute sortes de routes et chemins par tous les temps, et dont la simplicité mécanique est à la fois un gage de robustesse et d'efficacité.
Les ingénieurs de la Régie s'inspirent donc du châssis du fourgon de 1000 kg pour dessiner un cadre et un berceau technique robuste porté par deux essieux rigides pouvant supporter une charge utile de 800 kg.
Le choix du moteur va de soi, il s'agit du célèbre « 85 » apparu en 1936, qui doit cette appellation à son alésage (85 x 105 mm) par ailleurs commun à tous les moteurs Renault d'avant-guerre qui, ici, transmet sa puissance par l’intermédiaire d'une boîte à quatre rapports plus M.A.
Une grosse voiture, un intérieur clair spacieux mais spartiate...et cette photo prise en Juin 2007, lors de la journée "les vieux tacots mirebalais" : une vénérable "Prairie", ici, repeinte en éclatant jaune vif qui n'est pas sa couleur d'origine...
La Prairie, une voiture à vivre …
Ce break ainsi désigné, ici, sujet de cette étude, étant le plus polyvalent et celui qui sera le plus diffusé, constitue la colonne vertébrale de la gamme. Au cours du premier trimestre 1951, sa production décolle lentement. En avril, l'assemblage est produit dans l'usine belge de Haren. Outre la Prairie luxe, la Régie commercialise une Prairie Normale, plus dépouillé et rustique qui s’avérera marginale. Voiture familiale mais aussi voiture pratique tels sont les termes employés par les commerciaux pour décrire et vendre ce gros break qui peut accueillir jusqu'à 7 passagers avec leurs bagages à son bord et le cas échéant, se transformer en véhicule utilitaire pouvant transporter 800 kg de marchandise en retirant la banquette arrière amovible.
Compagne de route pour le commerçant, l'entrepreneur et le cultivateur éleveur, La "Prairie" voiture de ville ou de campagne, se prête à toutes formes de transport...
Au bout de quelques mois, après son lancement, le bilan commercial s'avère mitigé. Certes la Pairie se vend et a trouvé une clientèle parmi nombre de commerçants artisans et paysans, qui louent son sérieux de fabrication, sa robustesse et ses aspects pratiques en nombreuses circonstances mais déplore aussi sa consommation excessive en carburant et une certaine mollesse tenant à la puissance insuffisante de son moteur de 46 CV devant mouvoir allègrement un véhicule dépassant 1650 kg sur la balance. Ne dépassant pas les 95 km/h au maximum, les longs voyages sont laborieux et, comparé au break le plus concurrentiel, « 203 » Peugeot, bien plus léger et surtout plus performant, la Prairie certes, plus logeable, s'avère plus pataude et moins confortable.
En 1953, dotée du moteur culbuté, plus moderne de 2 litres, 11CV fiscaux de la « Frégate », développant 58 CV, lui permettant de dépasser les 100 km/h, la Prairie demeure encore en retrait de la concurrence sur le plan des performances et de la consommation.
Ce qui ne favorisera jamais un réel engouement de la clientèle pour ce gros break tient à son apparence passe-partout, non pas à son esthétique, lui, conforme aux critères de cette époque, (La Prairie, vue de face ressemble à une grosse 4CV, il y a, de façon notoire un air de famille...) Aux yeux des éventuels acheteurs, son apparence, vu le format et sa vocation d'utilitaire, la range dans la catégorie d'autos destinée à une classe prolétaire et besogneuse. La Prairie, en dépit de sa vocation familiale, cet aspect semi-utilitaire, ne lui confère aucunement le statut d'auto pouvant intéresser la classe bourgeoise ou la catégorie socioprofessionnelle regroupant l'ensemble des fonctionnaires. La connotation de « camionnette », même vitrée, lui colle à la peau et nuira sa carrière face à une concurrence ayant misée sur des breaks déclinés à partir de berlines ayant déjà une forte renommée.
En 1956, Renault arrête la production des Pariries lesquelles n'auront connu qu'un succès d'estime auprès d'une clientèle spécifique des milieux commerciaux et des petites entreprises.
Sans doute née trop tôt, ce concept de gros break dont il a aussi été produit une version 4x4, aurait connu plus de succès à notre époque où l'on affectionne particulièrement les break, ludospace, cross-over et autres SUV.
Il en demeure que cette Prairie fut une agréable auto, appréciée des familles nombreuses, ayant fait le bonheur d'artisans et de commerçant ayant misé sur sa double fonction de véhicule à la fois pratique et ludique... elle faisait partie du paysage automobile de mon enfance, et pour la petite histoire je me souviens que le photographe à Mirebeau, au cours de ces années « 50 », en possédait une dans laquelle je suis, un jour, monté, étant camarade de classe de l’aîné de la famille B. C'était, à la veille de la rentrée scolaire, en septembre 1957, pour aller au vélodrome de Loudun, assister à un critérium, rassemblant quelques stars du cyclisme de l’époque : Ms Bobet, Coppi, Darrigade et autres, Kübler, Gaul et consorts...
À cette même date, un certain « Spoutnik » venait d'accomplir son premier voyage dans l'espace... nous entrions dans une nouvelle ère de conquêtes... à plusieurs niveaux ...
Source Photos : Automobilia N° 53 et "Toutes les voitures françaises des années 50" de René Bellu.