En cette fin de mois d’Avril, le Printemps précoce cette année, suite à une période quasi estivale à ses débuts, se renfrogne soudain et, sous un ciel bas et gris, nous déverse un copieux assortiment de pluies rafraichissantes dont se gorgent les terres assoiffées… Bourges aussi a son Printemps et cette fois la musique le célébrant fait trempette !… Mais, heureux festivaliers, comme Stromae vous l’a chanté à l’ouverture : Vous êtes « Formidable ! »…
Retour au chœur de la France !... Je vous invite à me suivre sur le parvis où d’autres scènes s’offrent à nos regards ébahis … contemplez ici, la merveilleuse façade occidentale de la cathédrale berrichonne … nous allons en étudier les 5 portails qui ornent ce seuil grandiose... Nous avons, partant de la gauche :
- Le Portail Saint Guillaume (2ème bâtisseur de la cathédrale de 1199 à 1209).
- Le Portail de la Vierge.
- Le grand Portail du Jugement Dernier.
- Le Portail Saint Étienne (Saint Patron de la Cathédrale).
- Le Portail Saint Ursin (Évangélisateur, premier évêque de Bourges).
Nous commencerons notre étude par celui qui attire le plus notre regard par son amplitude autant que par sa fabuleuse ornementation iconographique : Le portail central du jugement dernier.
Ce portail est remarquable par l’ébrasement important qui nous permet une lecture facile et complète de toutes les richesses sculptées dans ce véritable livre de pierres.
Sous leur gable protecteur orné en sa partie haute d’une rosace finement ciselée, les voussures ogivales profondes et parfaitement étagées dégagent le haut tympan du Jugement dernier. Ces voussures sont constituées de 6 rangées d’archivoltes séparées elles-mêmes par une frise constituée d’entrelacs feuillus. Elles représentent le monde d’En-Haut, le monde spirituel, le paradis … Partant de l’archivolte à la fois, la plus intérieure et la plus basse, nous avons :
- Des Archanges à 3 paires d’ailes (Séraphins) qui gardent leurs bras écartés.
- Des Anges, mains jointes, vêtus de longue robes droites.
- Des Saints assis, les mains jointes également, certains sont nimbés.
- Des confesseurs revêtus de l’habit sacerdotal, tenant un livre, les uns de profil, les autres de face.
- Des Martyres assis nanti d’un livre et d’une palme.
- Des Prophètes, ici, curieusement couronnés…
Il faut signaler que les deux dernières voussures décrites ont été complètement refaites. D’un porche à l’autre, ces envolées de voussures s’appuient sur des piles ornées, en leur partie supérieure, de dais représentant des entrées de ville, symbole de la Jérusalem céleste… Au portail que nous étudions présentement, les dais de droite, abritent quelques statues très mutilées qui ne proviennent sans doute pas de cet emplacement.
Au-dessous, dans le soubassement, on reconnaît l’imagerie des premiers chapitres de la genèse dont, la création d’Eve. Ceci se lit dans les écoinçons au-dessus des arcatures. Ces miniatures sculptées sont d’une très belle facture mais, plusieurs ont souffert de l’outrage du temps et du vandalisme des hommes…
Au dessus de ces 6 rangées de voussures, dans le gable percé en son centre d’une rosace, on découvre dans son pourtour, 8 figurines de femmes représentant les vierges sages et les vierges folles. Au niveau inférieur, de part et d’autre de cette rosace, on découvre, sous un arceau, la Vierge et Saint Jean, implorant le Christ au sommet du gable.
Considérons maintenant le tympan.
A l’étage le plus élevé, sous un ensemble de cinq mini-gables rappelant les 5 portails, se tiennent à gauche et à droite du Christ en majesté, 2 plus 2 Anges portant les instruments de la passion. A chaque extrémité de cette ligne du registre, figurent également, à gauche Marie à genoux et à droite, Jean à genoux. Au centre, le Christ juge, bras écartés, paumes des mains tournées vers le Ciel, se tient dans l’attitude de l’Orante qui invite au recueillement, à l’élévation, à la confiance dans le Très-Haut et à la reconnaissance envers le Créateur. Au-dessus de chacune des mains du Christ, dans l’écoinçon, on devine deux anges, l’un portant le Soleil, l’autre la Lune.
En dessous, dans le registre médian, de presque statique initialement, le programme iconographique, s’anime soudainement, imprégné d’un dynamisme harmonieux, parfaitement rythmé de part et d’autre de la balance d’un sublime Saint-Michel au sourire rayonnant.
Le sort des Elus, à sa droite (à gauche pour l’observateur) est marqué favorablement par l’inclinaison du plateau où pèsent leurs bonnes actions contrebalançant les mauvaises du plateau opposé. Le fléau axé vers le haut, indique leur lieu de séjour céleste. Leur procession est conduite par un moine franciscain (Saint François d’Assise mort en 1226 est contemporain de cette époque où les artistes bâtisseurs sculptaient ces merveilles) Il arrive devant Saint-Pierre qui tient la clef du Paradis. En ce Paradis représenté par une loggia à arcatures trilobées, Abraham trône portant en son sein, l’âme des élus représentés par 4 têtes surgissant d’un drapé maintenu au niveau de sa poitrine. Suivant le moine franciscain, viennent un roi souriant (ce pourrait être Saint-Louis) puis une jeune femme à la silhouette élancée et un jouvenceau rieur et déhanché tourné vers un ange lui montrant le chemin à suivre. Apparaissant juste au-dessus des têtes de ces bienheureux processionnaires, on découvre la progression d’anges portant des innocents nus précédents deux jeunes gens à l’allure naïve et pure, l’un tenant une fleur, l’autre les mains jointes ; ils sont suivis d’un enfant nu portant un bouquet de feuillages. Dans cette partie bien conservée, on peut admirer le soin apporté au mouvement. Au-dessus de Saint-Pierre, un angelot s’apprête à déposer une couronne sur la tête des élus.
Une frise de feuillage au dessin souple et rythmé sépare ce registre de celui du dessus. Voyons maintenant ce qu’il se passe de l’autre côté de la balance …
Les élus, à droite de Saint-Michel, et les damnés à gauche...
Sur la droite, soit, à gauche de Saint-Michel, l’ambiance n’est plus du tout la même… Finie la belle sérénité qui nous enchantait du côté des élus ! Le spectacle qui s’offre à nous maintenant, nous saisit d’effroi … nous sommes plongés dans la tourmente des damnés conduits au rythme d’une frénésie diabolique vers le gouffre béant de l’enfer… Le grotesque de la gestuelle, complété par la mimique effarée des personnages renforcent le caractère aussi pittoresque que dramatique de cette scène… En contrepoint, il y a ce petit être puéril que l’archange, de sa main gauche posée sur sa tête, maintien serré contre lui et qu’un diable à grosse tête hideuse fixe du regard comme éventuelle proie…
La précipitation, l’affolement, l’agonie, la laideur, le caractère vil et entaché d’opprobre, accentués par les attitudes vicieuses des damnés et de leurs bourreaux, constituent la monstruosité de cette tragédie dantesque. Les attributs caricaturaux dont sont pourvus ces diables à la morphologie grossière évoquent, sur leurs faciès et sur leur corps difforme, ce qui se rapproche le plus de l’animalité, de la férocité et ce qui, dans le genre, relève du laid, de l’avidité et donc de la bête. Les damnés destinés à la marmite de Léviathan sont poussés, bousculés, culbutés, pressés, écrasés et copieusement chahutés par les êtres infernaux symbolisant, ici, de façon percutante, le déchainement des passions et des vices…
Gueules atroces, groins suintants, mufles écumants, oreilles en pointes disproportionnées, mafflus, bubonneux, cornus, troncs et dos hérissés d’écailles aux arêtes tranchantes, membres torses, pieds fourchus, monstrueusement velus, poilus, ces démons si plein d’entrain pour nuire, torturer et détruire, se réjouissent de l’épouvante qu’ils répandent et des supplices qu’ils prodiguent avec acharnement a tous les non-élus voués aux géhennes. Sur les visages des damnés se lit la peur, l’épouvante que stigmatise la douleur sans fin. Le châtiment s’accomplit irrémédiablement !...
L’Enfer représenté par ce chaudron infâme est animé par un de ces démons ventripotent, à la face balafrée par un rictus hideux. Les pauvres bougres qui sont précipités là, connaissent, en retour de leurs fautes et pêchés, une punition terrible qui s’accomplit selon les pires tortures. Tout ceci semble se passer dans une ambiance où règne l’horreur avec déferlement de cris, de hurlements et de vociférations… Déchirements, crépitements, bouillonnements, l’épouvante est à son comble et comme si cela ne suffisait pas, des crapauds gluants, poisseux et venimeux s’accrochent à tous appendices…
Qu’on donc fait ces gens au cours de leurs existences terrestres pour mériter un tel châtiment ?... Dans ce chaudron immonde, sont précipités pêle-mêle, nus, sans la moindre vêture, sinon leurs attributs sociaux distinctifs : rois, évêques, nobles dames, moines, femmes de petite vertu, brigands, tous les réprouvés ayant menés mauvaise vie… leurs tourments semblent éternels …
Quel contraste saisissant entre cette scène tumultueuse qui angoisse et terrifie le spectateur et celle lui faisant pendant, où règne la sérénité paradisiaque qui illumine les visages souriants des élus !...
Au registre inférieur, sur le linteau est magnifiquement représentée la résurrection des morts.
Le merveilleux, ici, est marqué par l’étonnement et le ravissement qui s’imprime sur le visage des ressuscités. Les personnages qui surgissent de leurs tombeaux sont sous l’enchantement de cette redécouverte du monde. (Savent-ils ce qui les attend juste au-dessus ?...)
Il s’agit bien d’un retour à la vie et, cette fois d’un retour à la vie éternelle. De ces visages presque poupons, émane une réelle candeur juvénile, les corps, eux, ont la plasticité de la jeunesse. Ceci évoque bien l’âme humaine à sa naissance encore empreinte de la pureté des origines ; c’est bien cette âme encore non entachée, vierge qui parvient à la vie par la porte de l’enfance innocente que représentent ces ressuscités par leur jeunesse et leur beauté.
L’ensemble évoque un jaillissement vers le haut encore plus accentué par tous ces bras levés et les mains tendues en direction du ciel. Il est magnifié là tout l’espoir de l’humanité à être délivré, à la fois des charges et des enchantements de la vie terrestre. Cette humanité attend là l’avènement d’une grande métamorphose devant saisir notre monde matérialiste pour le spiritualiser. Cette humanité aspire à une véritable élévation étant attirée vers ces hauteurs sublimes ; âmes qui ont la nostalgie de leur seule véritable patrie : le Monde Spirituelle !
Au trumeau porteur se tient le Christ enseignant, gardien du seuil de ce sanctuaire (Statue datant du XIXe siècle). Il nous interroge mais nous montre aussi la route à suivre …
En conclusion, ce tympan extraordinaire nous conte ce qu’il en est de la destinée des âmes humaines à travers la succession de leurs parcours terrestre et céleste en alternance. Dans l’étagement de ce fabuleux programme iconographique on assiste, en fait, à trois niveaux de Naissances.
- La première se situe à la base, sur le linteau où figure la résurrection des morts, celle-ci symbolise alors la Naissance au niveau corporel sur le plan physique.
- La seconde, sur le registre médian, là où se dresse Saint-Michel avec sa balance, se situe au niveau de l’âme pénétrant le corps et, par lui, assujettie aux émotions et sentiments tenant à la vie terrestre, elle peut être attirée par le monde d’en bas, matériel, ou par le monde d’en Haut, spirituel. Au cours de l’existence terrestre, cette âme lutte en permanence pour faire la part entre ces mondes en polarité. C’est le douloureux dilemme entre Esprit et Matière…
- Enfin, au troisième registre, là où siège le Christ Rédempteur, s’effectue la Naissance suprême au niveau de l’Esprit, celle-ci, dépendante de la progression de l’âme au cours des existences successives. C’est en ayant connu les souffrances de ce bas-monde mais aussi la compassion pour les êtres qu’elle y a croisés que l’âme humaine peut librement accéder à la Vie spirituel y prodiguant les forces d’Amour et de Liberté créatrice.
A suivre ...
Bourges - Les Portes du Ciel ... - Le Mirebalais Indépendant
Dans l'étude des portails de la façade occidentale, nous avons décrit l'ensemble des scènes du programme iconographique du portail central dit du jugement dernier. Il nous reste à découvrir c...
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